Chapitre 20 - Rapprochements

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Au soir du deuxième jour, Saya éprouvait des sentiments mitigés concernant le temple et ses occupants. Elle n'aimait pas cette ambiance secrète et solennelle qui planait dans les couloirs, ce silence monacal qui régnait en maître et ces prêtres en permanence dissimulés sous les larges capuches de leurs tuniques blanches comme s'ils avaient des choses à cacher. Pourtant, tout le monde s'était montré bienveillant à son égard, et encore plus à l'égard de la princesse, mais elle n'arrivait pas à relâcher sa garde. Peut-être qu'elle prenait sa mission trop à cœur et qu'elle avait simplement du mal à accepter de passer le flambeau au lieutenant Osaki.

La générale s'apprêtait à se mettre au lit quand on frappa à sa porte. Elle autorisa le visiteur à entrer ; quand on parle du loup, il s'agissait justement du lieutenant Osaki.

— Ah non, ne venez pas me dire que vous avez peur de dormir seul, le mit-elle en garde en s'asseyant sur le bord de son matelas. Je ne plaisantais pas quand j'ai dit que je vous ligoterais sur votre lit s'il faut en arriver là pour avoir la paix rien qu'une nuit.

Il lui assura en riant qu'il était très heureux de pouvoir enfin à nouveau dormir dans une chambre rien qu'à lui, il n'avait pas l'intention de la déranger plus de quelques minutes et venait seulement prendre de ses nouvelles car ils n'avaient fait que se croiser trop brièvement depuis qu'ils étaient ici.

Soulagée par cette réponse raisonnable, Saya se détendit et ne tarda pas à confier son ressenti au sujet du temple. Elle se plaignit des repas pantagruéliques qui leur étaient servis, de l'étalage de richesses qu'elle trouvait de plus en plus indécent, et émit des doutes sur les réelles connaissances de ces prêtres concernant le pouvoir des chimères.

Taïk ne put qu'abonder dans son sens. Il avait accompagné sa sœur durant des heures entières de méditation, des heures de prières, et des heures à écouter des récits à propos des exploits des individus légendaires qui avaient par le passé maîtrisé un pouvoir aujourd'hui inconcevable. Tout cela lui paraissait futile et peu probant, il doutait de plus en plus de l'utilité de leur présence en ces lieux.

— Peut-être que le pouvoir des chimères a définitivement disparu, soupira-t-il avec un haussement d'épaule. A moins que ça n'ait toujours été que des mythes entretenus par les prêtres pour amasser l'argent des fidèles.

— Ça ne fait que deux jours que nous sommes là, ne soyez pas défaitiste aussi vite, tenta de le rasséréner la générale.

— Honnêtement, Satine ne fait rien de plus ici qu'elle ne faisait déjà au palais impérial. Et je la vois déjà s'étioler. Elle avait l'air bien plus épanouie sur les routes avec nous.

C'était ce que craignait Saya depuis qu'elle en avait découvert davantage sur cet endroit, ça ne la rassurait pas de voir qu'elle n'était pas seule à se poser des questions sur les capacités des prêtres. Peut-être qu'ils avaient fait le mauvais choix en venant ici, peut-être qu'ils n'avaient fait que perdre leur temps et celui de la princesse... mais il était bien trop tôt pour en juger et elle ne dit rien de ses propres incertitudes au lieutenant, il n'avait pas besoin qu'on l'encourage dans cette direction pessimiste ; elle connaissait son impulsivité insoumise et le savait capable de fuir les lieux avec sa sœur sous le bras à la moindre hésitation de la part de sa supérieure.

— Et si je laissais Satine méditer seule demain matin et qu'on se retrouvait dans la salle d'entraînement des gardiens pour se défouler un peu ? proposa Taïk avec un enthousiasme retrouvé.

La générale défiée déclina l'invitation en lui rappelant qu'à peine deux jours plus tôt il avait passé la nuit à l'écraser en cuvant son alcool, ce qui avait réveillé une mauvaise blessure de bataille dans son épaule.

— Laissez-moi me faire pardonner avec un petit massage dans ce cas, insista-t-il en s'installant aussitôt dans son dos.

Elle voulut refuser mais la pression agréable des mains chaudes du lieutenant sur ses omoplates la rendit muette.

— C'est juste un service entre amis, précisa-t-il en sentant qu'elle se crispait. Je le fais aussi pour ma sœur parfois. Profitez et relaxez-vous.

Saya ferma les yeux et se détendit peu à peu. Malgré les paroles innocentes du lieutenant, cette situation restait ambiguë dans le cadre de leurs relations professionnelles et de leurs grades respectifs. Elle sentait que c'était le moment de mettre les choses au clair avant qu'ils ne se retrouvent à nouveau dans une situation équivoque.

— Vous voulez toujours savoir, à propos du capitaine Dasso et moi ? demanda-t-elle d'une voix plus fébrile qu'elle ne l'aurait voulu.

Les mains du lieutenant s'immobilisèrent quelques secondes avant de reprendre un rythme ferme et régulier.

— Si vous avez envie de m'en parler... l'encouragea-t-il, n'osant se montrer trop pressant cette fois.

Sans détour, elle lui expliqua alors qu'il avait raison. Otto et elle s'étaient fréquentés il y a bien longtemps, alors qu'ils faisaient encore leurs classes dans l'armée. Elle en gardait le souvenir d'une jeunesse insouciante qui avait fini par être confrontée à la dure réalité. Saya avait fait preuve d'un talent exceptionnel ainsi que d'une détermination sans faille et elle était montée en grade bien plus vite que son jeune compagnon. Les choses avaient alors commencé à changer entre eux, à devenir plus compliquées, moins naturelles. De plus, leur relation était vue d'un très mauvais œil par leurs supérieurs et on leur avait clairement fait comprendre qu'elle pourrait être un frein à leur carrière respective. Saya avait donc pris la décision unilatérale de mettre un terme à leur histoire avant qu'elle ne leur apporte des problèmes. Les deux anciens amants étaient toujours restés très proches, mais après cette expérience amère elle était sûre que jamais plus elle n'accepterait d'avoir une relation avec un soldat.

Taïk reçut cette dernière affirmation comme une flèche qui lui était destinée en pleine poitrine.

— Ce n'était pas de l'esbroufe quand j'ai dit que je me considère comme un déserteur à présent, se sentit-il contraint de préciser, bien qu'il craigne d'irriter la générale en remettant cela sur le tapis. Je ne me sens plus comme un soldat, je suis seulement là en tant que grand frère qui veille sur sa sœur.

Saya se leva pour soustraire son dos au massage agréable mais de plus en plus troublant vu le tour que prenait la conversation. Elle ne pouvait encourager les tentatives de rapprochement d'un soldat égaré.

— Nous nous reverrons demain, je n'ai pas encore décidé de partir d'ici, l'informa-t-elle avec un sourire rassurant.

Taïk s'éloigna du lit et la salua en inclinant légèrement la tête.

— Bonne nuit ma générale, dit-il avec un sourire apaisé.

— Bonne nuit Osaki.



L'Éveil des Chimères (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant