Trois jours plus tard, huit nouveaux soldats se joignirent à la petite troupe. Ils parcoururent le royaume de façon plutôt agréable, dans une ambiance de franche camaraderie, mangeant souvent dans des petits restaurants et passant presque toutes leurs nuits dans des auberges. Saya semblait s'épanouir dans cet environnement, elle trouva rapidement sa place de meneuse en tant que plus haute gradée de la bande et tous les hommes respectaient son expérience.
Taïk souffrait de la voir si épanouie alors que lui s'étiolait de jour en jour. Leur éloignement ne paraissait même pas impacter la jeune femme, avait-elle seulement remarqué qu'il l'évitait autant que possible ? S'en réjouissait-elle ? Dans le même temps, Satine continuait à essayer de les rapprocher, de provoquer des situations qui pourraient les encourager à se parler, mais ses tactiques ne fonctionnèrent ni sur l'un ni sur l'autre.
Enfin, ils arrivèrent en vue de l'immense camp de réfugiés qui abritait la résistance. La partie militaire du camp ne couvrait qu'un quart de la surface, le nombre de réfugiés civils était bien plus important qu'ils ne l'avaient imaginé. Quand on informa Satine que d'autres camps civils étaient éparpillés un peu partout le long de la frontière, sa résolution de rendre leur terre à ces gens fut renforcée. Ce n'était qu'en voyant toutes ces personnes exilées qu'elle prenait réellement la mesure de la situation. Hassama avait mis l'empire millénaire à genoux, Satine sut alors qu'elle n'aurait de répit que lorsqu'elle aurait mis l'usurpateur à genoux à son tour.
En traversant le camp pour rejoindre la tente de l'état-major, plusieurs personnes reconnurent leur princesse et la rumeur se répandit vite, attirant tout le monde dans une masse si compacte que les chevaux eurent du mal à continuer d'avancer. En selle devant la générale, Satine se pencha pour toucher les mains tendues vers elle avec ferveur. Tout cet amour lui réchauffa le cœur en même temps qu'il ajoutait un poids sur ses épaules. Il était impensable qu'elle déçoive les attentes de tous ces gens.
Après une lente progression de près d'une heure, ils finirent par atteindre la tente abritant le nouvel état-major d'urgence. Satine y pénétra la première et fut accueillie par deux hommes et une femme, deux d'entre eux portaient les insignes de colonel d'armée, le troisième ceux de capitaine. Tandis qu'ils s'inclinaient avec déférence, elle reconnut le capitaine Otto Dasso parmi eux, l'homme qui les avait aidés à fuir Bastis au lendemain de l'insurrection. Il voulut présenter ses respects à la jeune altesse en utilisant le terme d'impératrice, mais elle l'enjoignit à attendre son couronnement sur les marches du palais impérial avant de lui accorder ce titre vénérable qu'elle comptait gagner par sa valeur plutôt que son héritage.
Une grande tente fut préparée spécialement pour la princesse, elle y fit également installer Taïk malgré les ragots que cette décision fit naître car elle ne se souciait plus vraiment de garder leur lien familial secret à présent. Saya prit ses quartiers dans le secteur réservé aux officiers supérieurs et commença tout naturellement à prendre ses marques à la tête de l'état-major en tant que plus haute gradée du camp. Les deux jeunes femmes passèrent beaucoup de temps ensemble au cours des semaines suivantes, elles préparaient une offensive contre Hassama, traitaient les informations que leur faisaient parvenir leurs espions et organisaient diverses opérations de secours pour exfiltrer certains des leurs encore captifs de l'empire.
Taïk ne vit pas beaucoup sa sœur pendant cette période, elle n'avait plus besoin d'une surveillance aussi rapprochée que pendant leur voyage en terre inconnue, et par ailleurs une petite troupe de gardes d'élite lui fut assignée pour la suivre lors de ses déplacements dans le camp. C'est ce sentiment d'inutilité qui le poussa un soir à se présenter devant la tente de Saya. Un garde le laissa passer, il poussa la tenture à l'entrée et découvrit la générale assise par terre avec le capitaine Dasso, tous deux riant au-dessus d'une boîte de gâteaux. Les rires cessèrent à l'arrivée du lieutenant et le visage de Saya s'assombrit. Otto se releva en époussetant son pantalon puis se pencha vers son amie pour lui chuchoter quelque chose à l'oreille. Il quitta ensuite la tente en adressant un salut de la tête à Taïk lorsqu'il passa à sa hauteur. Saya se releva à son tour et referma la boîte de gâteaux pour la poser sur une table.
— Je peux faire quelque chose pour vous, lieutenant ?
— Commence par arrêter de m'appeler lieutenant, c'est ridicule, rétorqua-t-il avec irritation.
— Nous sommes au milieu d'un camp militaire, je peux difficilement ignorer votre grade, rappela la jeune femme.
— Laisse-moi te simplifier la tâche dans ce cas.
Taïk s'empara de son épée et de sa dague pour les jeter aux pieds de la générale dans un fracas métallique dissonant.
— Je démissionne, précisa-t-il.
Saya resta figée sur place, essayant de percer le regard impénétrable du lieutenant. Elle enjamba les armes au sol pour faire un pas vers lui.
— Non je refuse, s'opposa-t-elle.
— Trop tard c'est fait, répliqua-t-il avec un regard insolent.
— Nous allons avoir besoin de tout le monde pour reprendre le trône à Hassama.
C'était la meilleure excuse qu'elle avait trouvée pour tenter de le garder auprès d'elle, la seule excuse qui ne soit pas un motif personnel, la seule excuse qui pouvait manquer la cible à ce point.
— Tu ne remarqueras même pas mon absence, dit-il avec amertume. Tu as le capitaine Dasso pour te tenir compagnie maintenant, puisqu'il a l'air d'être ce genre d'ami lui aussi.
Une gifle monumentale ponctua sa dernière phrase.
— Dehors, ordonna la générale dans une colère froide.
Taïk quitta la tente sans rien ajouter, estimant que c'était un très bon point final à leur histoire, très représentatif de la façon dont il avait vécu tout cela. Leur route n'aurait plus à se croiser dorénavant, c'était mieux ainsi... peut-être.
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L'Éveil des Chimères (Terminé)
خيال (فانتازيا)[Romance fantasy] La générale Saya D'Alma perçoit sa nouvelle affectation comme un déshonneur : enseigner les rudiments du combat à la frêle fille de l'empereur Toa n'a rien de glorieux à ses yeux. Toutefois, lorsqu'un coup d'état menace la paix dan...