Chapitre 10 - Fièvre

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Allongée au près d'un feu, sous l'étroite surveillance de ses protecteurs, Satine reprit conscience rapidement. Elle se sentait faible et développait une fièvre fulgurante. Il fut assez vite évident qu'elle n'était pas en état de reprendre la route et qu'ils allaient devoir interrompre leur voyage le temps de lui apporter les soins nécessaires.

Dans la mesure où ils allaient rester coincés sur place jusqu'au rétablissement de la princesse, Taïk décida de partir explorer les alentours en espérant dénicher un meilleur abri. Quelques kilomètres plus loin, il trouva un lac et à proximité de là un aplomb rocheux sous lequel ils pourraient s'abriter. Ils y transportèrent la malade et l'y installèrent aussi confortablement que possible, s'assurant qu'elle reste hydratée et apposant régulièrement sur son front un linge au préalable trempé dans l'eau fraîche du lac pour faire baisser la fièvre.

Pendant la nuit, un orage violent éclata. Satine parut sombrer dans un sommeil troublé de nombreux cauchemars. Elle tremblait, gémissait, revivait sa fuite précipitée hors de la cité qui l'avait vue grandir, loin des bras protecteurs de son père. Ses deux gardiens ne parvinrent quant à eux pas à fermer l'œil. Ils se relayèrent auprès de la malade, pourtant trop inquiets pour arriver à penser à autre chose et prendre quelques heures de repos. Même l'humour du lieutenant Osaki semblait être affecté par la situation et se faire discret.

Le lendemain matin, Satine offrit une mine plus apaisée à ses compagnons mais elle passa tout de même l'essentiel de la journée à dormir. Elle ne parvint pas même à avaler un peu du bouillon que la générale avait préparé en faisant bouillir de l'eau du lac avec quelques morceaux de viande séchée et deux carottes. Le naturel revenant au galop, le lieutenant s'était moqué des talents de cuisinière de sa supérieure mais personne n'avait vraiment le cœur à rire, l'ambiance était morose.

Un nouvel orage éclata la deuxième nuit et les cauchemars étreignirent à nouveau la princesse. Cependant, à son réveil elle sembla plus vive et accepta même d'avaler un petit déjeuner frugal. Au fil de la journée, son visage reprit des couleurs et elle insista pour faire un peu d'exercice en marchant sur les bords du lac. Elle se sentait prête à reprendre la route, bien que ses compagnons soient plus hésitants et préfèrent attendre le lendemain pour prendre une décision.

Au dîner, Satine mangea de bon appétit le lièvre que Taïk avait piégé dans la forêt et fait rôtir au-dessus du feu de camp. Elle décida alors de leur faire part de l'expérience étrange qu'elle avait vécue pendant ses deux nuits fiévreuses et agitées. Il lui avait semblé sentir une présence au-dessus d'elle, une présence intimidante et rassurante à la fois qui l'avait accompagnée au travers d'un enivrant mélange de souvenirs et d'hallucinations. Elle était persuadée que cette présence diffuse l'avait guidée et soutenue dans sa lutte contre la maladie. Peut-être s'agissait-il du mystérieux pouvoir des chimères qui se manifestait enfin davantage, ils l'espéraient tous sincèrement, une perspective optimiste n'était pas pour leur déplaire.

La nuit suivante se passa bien et Satine se sentait toujours en pleine forme au réveil. La décision de partir fut donc prise à l'unanimité. Ils se trouvaient au pied d'une zone montagneuse et la suite du voyage ne serait pas de tout repos.

Abandonnant sans regrets l'abri qui les avait protégés des intempéries, ils progressèrent à une vitesse modérée sur la pente ascendante toute la journée. Satine avait repris du poil de la bête et ne se plaignit ni de l'inconfort, ni de la météo, ni de la désagréable impression qu'elle ne verrait jamais le bout de ce périple.

Espérant rattraper un peu leur retard, ils ne s'arrêtèrent qu'après la nuit tombée. Le paysage qui les entourait n'avait rien d'accueillant, c'était une zone particulièrement rocheuse, presque un désert de pierre, mais ils n'avaient pas vraiment d'autre option. Ça ferait l'affaire pour une courte nuit.

Taïk aidait Satine à descendre de cheval, comme il le faisait à chaque fois, lorsqu'il remarqua que la générale somnolait sur le dos de sa monture. Il lui tendit un bras qu'elle accepta par réflexe juste avant de tomber de l'animal. Le lieutenant rattrapa la jeune femme de justesse et la fit asseoir au sol. Elle avait l'air pâle et plus qu'à demi-consciente.

— Oh non, s'inquiéta Satine, désemparée. J'espère qu'elle n'a pas attrapé le même mal que moi.

Une nouvelle interruption dans leur périple serait un coup dur au moral des voyageurs. D'autant plus que cette fois, ils se trouvaient dans un secteur rocailleux peu hospitalier. Misant sur les bons conseils que leur apporterait la nuit, ils installèrent leurs couvertures dans un renfoncement entre plusieurs gros rochers et y allongèrent la générale. Son front était chaud mais tout son corps tremblait de froid. Taïk et Satine se blottirent contre elle pour tenter de la réchauffer un peu et passèrent une nuit pleine d'inquiétude, impuissants à aider leur camarade souffrante.


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Au petit matin, la voix faible de Saya réveilla les bouillottes humaines qui la compressaient :

— Vous me tenez trop chaud, qu'est-ce que vous faites collés à moi ? geignit-elle.

— Vous allez mieux ? s'enquit Satine. Vous étiez à peine consciente hier soir.

Taïk toucha le front de la jeune femme qui était toujours brûlant.

— J'ai la tête qui tourne mais ça ira, il faut reprendre notre route.

— Il faut vous reposer, générale, objecta le lieutenant.

— On a assez perdu de temps comme ça, je me reposerai à dos de cheval.

La générale n'était pas ouverte à la discussion. Malade ou pas, ils n'avaient pas d'autre option que de poursuivre leur chemin. Ils étaient au milieu de nulle part dans un secteur peu propice à la chasse ou la pêche, il n'y avait d'ailleurs pas d'eau à proximité immédiate et leurs réserves se tarissaient dangereusement. Il était urgent de s'éloigner de cette zone hostile.

Saya refusa de manger quoique ce soit, craignant de ne pas être capable de le garder bien longtemps dans son estomac. Aux petits soins, le lieutenant l'aida à grimper sur son cheval en lui recommandant de bien s'agripper aux rênes et de ne pas hésiter à s'arrêter si elle avait besoin de faire une pause.

Exceptionnellement, la princesse grimpa derrière Taïk pour ne pas être un fardeau supplémentaire sur le dos de la générale. Ils avancèrent en silence, toujours plus haut dans la montagne. Seul le lieutenant brisait à intervalle régulier ce calme pour s'enquérir de l'état de santé de sa supérieure. Mais vers la fin de l'après-midi, même lui ne parlait plus, ils avançaient à un rythme lent et régulier comme des automates.

Finalement, l'inquiétude gagna Satine qui plaqua sa main sur le front de Taïk. Lui aussi avait de la fièvre. La princesse réussit après quelques tentatives à faire stopper le cheval. Elle se laissa glisser au bas de la selle avec des gestes maladroits et aida tant bien que mal ses camarades à rejoindre le plancher des vaches à leur tour. La jeune fille culpabilisait terriblement d'avoir contaminé ses amis et elle était prête à se plier en quatre pour les aider au mieux.

Pleine de sollicitude, la frêle altesse veilla ses gardiens malades toute la nuit, les couvrant quand ils tremblaient de froid, leur faisant un peu d'air quand ils transpiraient à grosses gouttes, et tentant de les hydrater régulièrement avec les dernières gorgées d'eau qui leur restaient. Toutefois, malgré ses bons soins, les deux malades sombrèrent dans une profonde inconscience dont rien ne semblait pouvoir les tirer.



L'Éveil des Chimères (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant