Chapitre 29 - A la source

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Les rayons du soleil levant s'infiltrèrent sans peine entre les volets disloqués de l'auberge, réveillant les deux soldats profondément endormis. Pressés d'arriver à destination, ils firent l'impasse sur un petit déjeuner qu'ils n'avaient de toute façon pas de quoi payer, puis ils se mesurèrent dans une course effrénée pour savoir qui serait le premier à grimper sur le cheval et à tenir les rênes. Saya gagna.

La traversée du territoire se fit sans encombre et, en fin de matinée, les reliefs citadins de Warma se dévoilèrent sur l'horizon. Les voyageurs bifurquèrent vers les montagnes à l'ouest et empruntèrent un sentier qui indiquait la direction de la source chaude. Puis vers midi, après avoir pris un peu d'altitude sur les flancs de la montagne, ils atteignirent une petite zone touristique avec quelques échoppes, des restaurants, et des zones de promenade aménagée. La générale n'avait pas imaginé trouver un endroit aussi fréquenté, elle se sentait un peu mal à l'aise au milieu des touristes.

— Ne vous inquiétez pas, chuchota le lieutenant à son oreille comme s'il avait deviné son appréhension. Il n'y a pas de raison qu'on vous reconnaisse ici, les avis de recherche de l'empire millénaire n'intéressent personne dans la fédération Trasque.

Il avait certainement raison mais on n'était jamais trop prudent, impossible de baisser la garde. Ils mirent pied à terre et confièrent leur monture au propriétaire d'un petit stand avec une grande auge prévue pour accueillir les chevaux des visiteurs. Ainsi libérés de toute contrainte, ils arpentèrent les ruelles marchandes sans grand espoir d'y croiser la princesse ; elle était censée trouver un endroit discret pour s'y cacher, pas faire du tourisme. Saya commençait à percevoir la faille dans leur plan de retrouvailles et sentait l'inquiétude grandir.

Plus loin, les échoppes s'espacèrent jusqu'à laisser place à une forêt de conifères. Les panneaux indiquaient toujours la source dans cette direction à peine moins fréquentée. Environ cinq cents mètres plus loin, une lourde grille de fer forgé marquait l'entrée de la célèbre source chaude. Celle-ci avait la taille d'un bel étang cerné par les flancs d'une montagne à la végétation luxuriante, quatre personnes s'y baignaient tandis qu'une dizaine d'autres se contentait d'en faire le tour et d'admirer la beauté des reliefs qui emprisonnaient cet écrin de verdure. A en croire le plan affiché à l'entrée, on pouvait trouver d'autres sources plus petites disséminées dans les hauteurs, plusieurs chemins de randonnée étaient conseillés aux promeneurs. Taïk se plaignit aussitôt en devinant dans quoi Saya allait l'entraîner mais elle lui assura que ça leur ferait le plus grand bien de se dégourdir un peu les jambes. Elle regretta évidemment ses paroles ambitieuses après avoir arpenté les sentiers de montagne tout le reste de l'après-midi.

Bredouilles, ils revinrent s'asseoir au bord de la source principale pour y tremper leurs pieds douloureux, la sensation de l'eau chaude était délicieusement agréable et délassante. Les alentours de la source commençaient à se vider, les visiteurs préférant rentrer chez eux avant la tombée de la nuit. Taïk et Saya ne savaient ni s'ils allaient pouvoir manger ce soir ni où ils allaient dormir. Mais par-dessus tout, ils ignoraient totalement quoi faire s'ils échouaient à retrouver leur princesse égarée. Quel beau pétrin ce serait...

Alors qu'ils ruminaient leur déconfiture, une vieille dame avec un chignon gris s'approcha d'eux en silence, manquant de les faire basculer dans l'eau tant elle les surprit par sa discrétion fugitive.

— Vous êtes Taïk et Saya ? demanda-t-elle d'une voix chevrotante.

Quoi répondre à cela ? Devaient-ils révéler leur identité à cette inconnue qui semblait pourtant les connaître ?

— Qui êtes-vous ? interrogea la générale en retour, méfiante.

— Vous pouvez m'appeler mamie Yona. La petite jeune fille m'a demandé de garder l'œil ouvert au cas où je verrais une belle jeune femme avec une longue queue de cheval et une cicatrice sur la joue accompagnée d'un séduisant garçon dépeigné.

Taïk passa la main dans ses cheveux pour se recoiffer sommairement puis se leva avec énergie.

— Vous savez où est Satine ? s'enthousiasma-t-il.

— Oui, elle est en sécurité chez moi, suivez-moi jeunes gens.

En chemin, la vieille dame leur expliqua qu'elle était la gardienne de cette source, tous les soirs elle fermait la grande grille pour bloquer l'accès aux visiteurs et elle rentrait chez elle dans une petite maison proche de l'eau mais dissimulée un peu en retrait dans les arbres environnants. Lorsqu'ils arrivèrent à proximité de la maison, la porte d'entrée s'ouvrit dans une bourrasque impétueuse et une tornade déferla sur eux. Satine se jeta dans les bras de son frère et attira Saya plus près pour les enlacer tous les deux en même temps.

— Je suis si heureuse de vous revoir ! s'écria-t-elle. Saya, je savais que je pouvais compter sur vous pour me ramener mon frère sain et... presque sauf.

— Presque, en effet, confirma la générale avec une pointe d'embarras amusé.

— Taïk, voyons ! Ta chemise est pleine de sang, mais qu'est-ce que tu as encore fait ?

— C'est une longue histoire, je te raconterai ça à l'intérieur sœurette, répondit-il en lui tapotant gentiment le dessus de la tête.

Ils entrèrent dans la petite maison faite de planches de bois local et s'installèrent sur des tapis autour d'une table basse. Mamie Yona insista pour leur servir à manger, elle semblait ravie d'avoir de la compagnie et le leur fit bien comprendre en les gâtant de mets plus appétissants les uns que les autres. Elle offrit également une chemise propre et sans déchirures à Taïk, précisant qu'elle appartenait à son fils qui travaillait maintenant à la grande ville et ne revenait la voir qu'une fois par mois. Puis elle s'éclipsa dans sa chambre pour laisser ses invités discuter tranquillement. Les retrouvailles furent chaleureuses mais les trois compagnons n'osèrent pas évoquer de sujet sérieux pour éviter d'être entendus par la vieille dame. Satine suggéra alors qu'ils aillent profiter de la source, fermée au public durant la nuit, pour parler sans contrainte.



L'Éveil des Chimères (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant