Quatre silhouettes vêtues de longs manteaux beiges glissaient en silence dans les ruelles de la ville. Trois d'entre elles dissimulaient leurs traits sous une capuche à large bord. La générale D'Alma, à visage découvert, s'approcha des deux hommes qui marchaient devant elle et tira leurs couvre-chefs en arrière avec vigueur.
— Bande d'idiots, les réprimanda-t-elle à voix basse. Vous ne croyez pas qu'on aura l'air encore plus suspect à se balader en troupeau d'encapuchonnés ?
Indécis, le capitaine et le lieutenant échangèrent un regard en haussant les épaules, elle avait peut-être raison. De toutes manières les rues étaient plutôt désertes pour l'instant, Bastis paraissait avoir la gueule de bois après cette nuit d'agitation. Des corps sans vie gisaient ça et là, abandonnés à leur triste sort ; des vitrines éventrées dégueulaient leur marchandise ravagée dans les allées jonchées de débris ; plusieurs incendies terminaient de mourir étouffés sous leur propre monticule de cendres. C'était une vision de cauchemar, l'apocalypse avait déferlé sur la cité impériale qui n'avait plus qu'à panser ses plaies béantes.
Bien que leur cœur saigne de voir la ville dans cet état pitoyable, les quatre fuyards savaient qu'ils ne pouvaient pas rester et venir en aide aux victimes de cette folie. Mettre la princesse en sécurité était ce qu'ils pouvaient faire de mieux au service de l'empire actuellement.
Soucieux, Taïk ralentit la cadence pour laisser le capitaine Dasso prendre un peu d'avance et régla son pas sur celui de Saya.
— Vous lui faites entièrement confiance, n'est-ce pas ? Vous le connaissez depuis longtemps ? demanda-t-il en se penchant à l'oreille de sa supérieure.
— Le capitaine ? s'étonna-t-elle. Bien sûr qu'il a toute ma confiance, nous avons fait nos classes ensemble, Otto est un ami proche.
— Ah oui ? Proche comment ? Enfin je veux dire, tous les deux vous...
Saya lui lança un regard irrité qui le dissuada de terminer sa phrase, puis elle rabattit d'un coup sec la capuche sur la tête du lieutenant trop curieux. Derrière eux, Satine riait en spectatrice discrète de la scène.
Le groupe fit quelques détours pour éviter les rues trop passantes et finit par arriver en bordure de la ville sans encombre. Comme ils l'avaient espéré, leurs ennemis étaient probablement encore en train de cuver la victoire qu'ils avaient fêtée toute la nuit et ne consolideraient leur emprise sur la ville qu'au fil de la journée chaotique qui s'annonçait.
A la sortie de la ville, le petit groupe traversa une vaste prairie puis commença à s'enfoncer dans la forêt. Enfin, ils atteignirent une petite clairière où les attendaient trois chevaux attachés au tronc d'un arbre par leur longe. Le capitaine avait réussi à amener les animaux ici plus tôt dans la matinée ; quand ses parents l'avaient informé de la présence de la princesse dans leur réserve, sa seule pensée avait été de trouver au plus vite un moyen de mettre la jeune fille en sécurité hors des murailles. Il remplit les sacoches attachées aux montures avec des vivres et du petit matériel fourni par sa famille, puis se tourna vers ses compagnons :
— Voilà c'est prêt. Mettons-nous en route tout de suite. Le voyage jusqu'en Sumérie nous prendra plusieurs jours.
— Je ne pars pas dans la même direction, objecta Saya.
— Pourquoi ? s'inquiéta Otto. Le royaume de Sumérie est l'allié historique de la dynastie Toa. Si nous voulons organiser une résistance, cela se fera forcément depuis là-bas. Et puis c'est sans le moindre doute l'endroit le plus sûr pour la princesse, elle y sera bien reçue par la famille royale sumérienne.
— Je sais, tu n'as pas tort, mais ce sont les ordres de l'empereur lui-même. Juste après le début de l'insurrection, il est venu me trouver pour me demander d'escorter sa fille jusqu'au temple des Anciens. Il pense que les prêtres pourraient l'aider à canaliser le pouvoir des chimères qui sommeille en elle, alors je vais l'emmener vers le sud, il n'y a aucune discussion à avoir.
— Hors de question ! s'interposa le lieutenant Osaki, absolument pas ouvert à la discussion lui non plus. On va conduire la princesse en sécurité à l'ouest, en Sumérie !
— Je ne vous demande pas votre avis, lieutenant, fit remarquer la générale en insistant sur le grade de l'insolent pour lui rappeler sa place. C'est un ordre de l'empereur.
— Je me fiche de l'empereur, répliqua-t-il avec véhémence. Je suis au service de la princesse et je ferai ce qui est le mieux pour elle !
— Osaki, ne dépassez pas les bornes, grogna Saya en posant la main sur la garde de son épée.
— Ça suffit ! intervint la princesse en se plaçant entre ses deux protecteurs. C'est à moi de décider de ce que je vais faire.
Tous les visages se focalisèrent sur la jeune fille, elle n'avait pas pour habitude de s'imposer mais la détermination marquait pour une fois son doux visage.
— Je veux aller au temple, ajouta-t-elle sans faiblir.
— C'est de la folie Satine, réfléchis s'il te plaît, implora le lieutenant en s'approchant d'elle, négligeant de s'adresser à la jeune altesse avec le respect dû à son rang tant il souhaitait la ramener à la raison.
— C'est tout réfléchi, Taïk. Le pouvoir des chimères est le dernier espoir de l'empire millénaire, je ne pourrais plus me regarder en face si je renonçais maintenant.
Le lieutenant tenta encore de faire changer d'avis la jeune fille mais c'était peine perdue, elle était déterminée et Saya ne manqua pas de la soutenir dans sa décision insensée. Rien n'aurait pu faire bouger l'opinion de ces deux têtes de bourrique.
Ils firent donc leurs adieux au capitaine Dasso qui pensait se rendre plus utile en Sumérie, là où il pourrait organiser la future résistance. Il proposa au lieutenant Osaki de se joindre à lui mais ce dernier déclina l'offre sans même attendre la fin de la question ; la protection de la princesse était son seul objectif, il irait où les pas de l'altesse en fuite le guideraient.
Otto déposa un baiser sur le front de Saya avant de monter en selle et de s'éloigner vers l'ouest en leur souhaitant bonne chance. Si la résistance prenait de l'ampleur, les soldats auraient tôt ou tard besoin d'un souverain à leur tête, et la fille de l'empereur déchu remplirait à la perfection le rôle de catalyseur pour motiver les troupes, si elle survivait à son périple.
L'air maussade et contrarié par les décisions qui venaient d'être prises malgré ses objections, Taïk grimpa sur un cheval à son tour et tendit la main à Satine pour l'aider à monter.
— La princesse monte avec moi, décréta la générale sur un ton sec tout en entraînant la jeune fille vers la dernière monture.
Le lieutenant leva les yeux au ciel, il était déjà en sous-nombre et relégué au second plan. Bien qu'il ne doute pas des compétences de sa supérieure hiérarchique, il désapprouvait l'initiative dangereuse de celle-ci, et la voir se liguer contre lui avec le soutien de la princesse n'augurait rien de bon pour ses affaires. Il sentait que ces deux-là allaient lui en faire voir de toutes les couleurs pendant le long voyage qui les attendait...
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L'Éveil des Chimères (Terminé)
Fantasia[Romance fantasy] La générale Saya D'Alma perçoit sa nouvelle affectation comme un déshonneur : enseigner les rudiments du combat à la frêle fille de l'empereur Toa n'a rien de glorieux à ses yeux. Toutefois, lorsqu'un coup d'état menace la paix dan...