Chapitre 45 - Lieutenant

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Cinq silhouettes formaient un cercle autour d'un feu de camp. Tous les regards étaient tournés vers Satine, rayonnante. Les deux cavaliers s'étaient présentés comme des membres de la résistance. Rémius et Cassir avaient été envoyés en exploration dans le secteur à la recherche de la princesse, comme de nombreux autres. Le matin après l'incendie de l'auberge, ils avaient appris par des villageois qu'une bande de mercenaires avait emporté deux prisonniers en direction de l'est et laissé derrière eux les cadavres de deux membres de la résistance. Ils avaient chevauché toute la journée à vive allure dans l'espoir de les rattraper.

— Mangez, proposa Rémius en leur tendant quelques morceaux de viande séchée. Et ensuite essayez de dormir un peu, demain nous vous conduirons à notre point de rendez-vous avec les autres équipes de recherche.

Tout en mastiquant avec concentration, ils échangèrent des regards interrogateurs passant rapidement des uns aux autres mais irrésistiblement attirés par la princesse. Taïk brisa le silence en premier :

— Alors tu es... un phénix ?

— C'est sous cette forme que le pouvoir qui m'habite a choisi de se manifester, en effet, confirma Satine.

— Est-ce que vous pouvez contrôler cette chose, votre altesse ? interrogea Cassir d'une voix timide.

— Je dirais plutôt que c'est elle qui se sert de moi. Je ne suis que l'incarnation humaine qui lui permet de se manifester dans notre monde.

— Renaître de ses cendres... songea Saya tout haut. Après avoir été brimé et étouffé pendant des siècles par des prêtres malhonnêtes, je pense que le pouvoir des chimères s'est manifesté de la meilleure des manières.

Personne ne savait de quelle façon ces évènements allaient affecter le futur et la guerre à venir, mais c'était indéniablement un grand espoir. Rémius et Cassir veillèrent tout le reste de la nuit pour que la princesse et son escorte puissent dormir en paix et se remettre des épreuves qu'ils avaient traversées. Taïk s'agrippa à sa sœur comme à un doudou retrouvé.

— Pardon de ne pas avoir été là pour te protéger, petite sœur.

— Ne dis pas de bêtises, si tu avais été dans cette chambre ces hommes t'auraient sans doute tranché la gorge dans ton sommeil, répondit Satine.

Elle déposa un baiser sur le front de son frère en lui souhaitant une bonne nuit puis adressa un sourire à Saya qui s'était allongée plus loin comme si elle préférait garder ses distances.


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Le lendemain, ils récupérèrent deux des chevaux appartenant aux chasseurs de prime puis partirent en direction du point de rendez-vous des équipes de recherche. Ils voyagèrent un peu moins de trois heures pour arriver devant un petit restaurant de village. Là, ils retrouvèrent six autres soldats hautement impressionnés à la vue de la princesse. Ces derniers firent tout de même attention à rester discrets dans l'expression de leur respect pour ne pas éveiller de soupçons sur l'identité de la jeune fille.

Tous partagèrent un repas convivial dans le restaurant. Ils allaient voyager ensemble pendant trois jours jusqu'à atteindre un autre point de rendez-vous où plus d'hommes les rejoindraient encore. Et puis ils partiraient pour leur destination finale, le camp de la résistance, à trois ou quatre jours de voyage supplémentaire.

Quand Satine exprima l'envie d'utiliser les toilettes du restaurant, Saya exigea de l'accompagner, et deux soldats offrirent d'aller surveiller les fenêtres de l'établissement depuis l'extérieur. Ils étaient maintenant suffisamment nombreux pour se sentir en sécurité.

— Est-ce que mon frère va bien ? demanda la princesse en se lavant les mains sous la surveillance de Saya.

— Je l'ignore, avoua la générale. Il ne m'a pas adressé la parole depuis hier soir.

— Je croyais qu'il se confiait à vous.

— Votre... mort, a remis beaucoup de choses en question, princesse.

— Aidez-moi à lui faire retrouver le sourire, demanda la jeune fille.

— Je ne peux pas, refusa Saya. Je crois que c'est en grande partie à cause de moi qu'il l'a perdu.

— Vous êtes une sacrée paire de têtes de pioche tous les deux, soupira Satine. Comme si je n'avais pas déjà assez à faire avec ces histoires d'empire à reconquérir...

La jeune fille retourna dans la salle du restaurant en laissant Saya immobilisée quelques secondes par la perplexité, mais elle ne reprit pas sa place aux côtés de son frère. Lorsque la générale se rapprocha de la table, Satine lui indiqua avec un large sourire la chaise laissée vacante à côté de Taïk. Si la princesse se mettait en tête de rapprocher ses deux compagnons, alors même que Saya tentait de rétablir les distances qu'elle n'aurait jamais dû franchir en premier lieu, le reste du voyage allait s'avérer plus compliqué que prévu.

— Un peu de laitue ? proposa Taïk en tendant un saladier à sa nouvelle voisine de table.

— Non merci lieutenant, répondit Saya en se resservant du ragoût.

Le mot était lâché : lieutenant. Elle ne s'était plus adressée à lui de cette façon depuis des semaines. Le jeune homme le reçut comme le dernier clou planté dans le couvercle de son cercueil. Il avait envie de se lever tout de suite et de partir loin sans jamais se retourner pour mettre un maximum de distance entre lui et ses sentiments piétinés, mais son lien fraternel avec Satine l'obligeait à rester à ses côtés où qu'elle décide d'aller. Malheureusement pour lui, le rôle grandissant de sa sœur au sein de la résistance ne ferait que le garder à proximité de la générale. Il ne lui restait qu'à ravaler sa douleur et serrer les dents jusqu'à ce que la bombe à retardement qu'il alimentait au quotidien finisse par exploser à la figure de son entourage.


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L'Éveil des Chimères (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant