Chapitre 49 - Stratégie

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La capitale, Bastis, n'était plus qu'à quelques jours de voyage. L'armée en déroute d'Hassama avait vraisemblablement trouvé plus judicieux de retourner à l'abri dans l'enceinte de la ville. Là-bas les y attendaient certainement des troupes supplémentaires restées pour protéger la cité, ainsi que des contingents entiers de nouveaux enrôlés. Ils espéraient sans doute pouvoir réunir suffisamment d'hommes pour tenir leurs assaillants hors des murs de la ville.

La résistance ne pourrait quant à elle compter que sur ses troupes restantes, aucune aide supplémentaire n'était à espérer. Ils eurent tout de même la surprise de voir quelques déserteurs de l'autre camp demander à rejoindre leurs rangs, ainsi que la visite de quelques villageois des environs qui souhaitaient montrer leur soutien à la résistance en leur fournissant des vivres supplémentaires. Toutes ces marques d'encouragement permirent de maintenir le moral des troupes malgré le sacrifice d'un nombre important des leurs lors de ce premier affrontement. Leur détermination les porterait jusqu'au dénouement de ce conflit, quelle qu'en soit l'issue.

Deux jours étaient passés depuis la bataille des achillées. A la nuit tombée, Satine et plusieurs officiers supérieurs se regroupèrent dans la petite tente montée à la hâte pour la générale D'Alma. Plusieurs rapports des éclaireurs et de quelques espions leur étaient parvenus dans la journée. Tous les indices portaient à croire que Bastis se préparait à résister à un siège.

La princesse eut un sourire moqueur à la lecture de ces informations, comment pouvaient-ils croire que leurs lourdes portes de fer forgé et de bois résisteraient au pouvoir des chimères. Ils n'avaient visiblement pas conscience de l'étendue de ses capacités, mais ils ne tarderaient pas à en faire l'amère expérience.

En termes d'effectifs, la résistance était clairement en sous-nombre à présent, cependant une grande partie de l'armée d'Hassama était composée de jeunes enrôlés sous la contrainte qui avaient à peine débuté leur formation. Encore une fois, la détermination des combattants ferait une différence significative dans le déroulement de la bataille.

Confiants dans leurs chances de victoire, les officiers saluèrent la générale D'Alma avant de quitter sa tente. Satine lui demanda si elle avait besoin d'aide pour rejoindre son lit de camp, à quelques pas derrière la petite table autour de laquelle ils avaient tenu leur réunion, mais la jeune femme préférait jeter un dernier coup d'œil aux rapports avant d'aller se coucher.

Quelques instants après le départ de la princesse, Taïk fit une apparition discrète derrière la tenture à l'entrée. Saya l'accueillit par un sourire encourageant.

— Tu vas bien ? demanda-t-il en s'avançant dans la tente.

Ils n'avaient pas eu l'occasion de se croiser depuis leur rencontre sur le champ de bataille.

— C'est un peu douloureux mais je peux marcher, illustra-t-elle en se levant de sa chaise.

Le jeune homme se hâta de la rejoindre pour la soutenir, sachant très bien qu'elle ne se ménagerait pas même si c'était indispensable. Il la fit rasseoir et s'accroupit pour examiner son mollet largement teinté de violet et son genou maintenu par un bandage serré. Par chance, aucun os n'avait été brisé, mais les muscles et les articulations avaient été malmenés par la violence du choc et la pression exercée.

— Tu avais dit que tu resterais auprès de Satine à l'écart des combats, fit remarquer la générale.

Son ton laissait l'impression qu'elle le grondait gentiment, mais son regard disait le contraire.

— Je sais mais comme tu tardais à revenir je me suis inquiété, expliqua le jeune homme.

— Merci, dit Saya en se penchant pour déposer un baiser sur sa joue et l'enlacer chaleureusement. Sans toi j'y serais restée.

— On est plus forts ensemble, rappela-t-il.

— A ce propos... commença-t-elle en relâchant son étreinte.

Elle avait le regard d'une enfant qui s'apprête à avouer une bêtise. Taïk se redressa, pressentant une demande qui allait lui déplaire. La jeune femme tira un plan parmi les papiers éparpillés sur sa table et désigna un point précis.

— Ici, dit-elle. C'est la sortie d'un passage secret qui mène directement aux sous-sols du palais impérial.

En tant que générale, elle faisait partie des rares personnes à avoir connaissance de ce tunnel. De toute évidence, il faudrait affecter des hommes à la surveillance de cette échappatoire pour empêcher Hassama de prendre la fuite. Mais Taïk voyait bien qu'une autre idée taraudait la jeune femme.

— Tu veux aussi envoyer une équipe qui remontera jusqu'au palais ? supposa-t-il justement.

Saya se mordit la lèvre avec une petite grimace embêtée.

— Et tu veux en faire partie, c'est ça ? comprit-il avec un soupir inquiet.

— Oui, avoua-t-elle en levant timidement les yeux vers lui.

— Tu te rends compte que c'est de la folie avec ta jambe blessée ?

Elle admit qu'elle n'était pas au meilleur de sa forme, mais elle était incapable de rester en arrière à attendre que les autres se battent à sa place alors que le traître qui l'avait poignardée dans le dos était à portée de main. Elle nourrissait une haine tenace à l'encontre d'Hassama et n'aurait de répit qu'après avoir obtenu sa vengeance sur ce misérable parjure.

— Accompagne-moi. Bats-toi à mes côtés, demanda la jeune femme en prenant la main de Taïk.

Il savait que rien de ce qu'il pourrait dire ne la dissuaderait d'agir comme elle l'entendait, il n'avait pas de meilleure option que de rester à ses côtés pour la protéger.

— J'accepte à une condition, spécifia-t-il.

Il attrapa un rouleau de gaze pour les bandages qui traînait sur un coin de la table et le lui tendit.

— Prends ça.

— Pourquoi ? demanda-t-elle en saisissant l'objet avec incrédulité.

— Pour que tu puisses me le jeter à la figure, comme tu sais si bien le faire, quand tu voudras me dire stop.

Taïk prit appui sur un accoudoir de la chaise et se pencha vers Saya pour l'embrasser. A peine une seconde plus tard, le rouleau de gaze glissait de la main de la jeune femme directement sur le sol avant de se dérouler lentement le long du tapis.

Les gardes en poste à l'extérieur de la tente échangèrent un regard circonspect, il commençait à y avoir de l'agitation derrière les tentures, mais ils comprirent vite que ce n'était pas le moment de déranger la générale.


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L'Éveil des Chimères (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant