Chapitre 38 - En exil

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Aux premières lueurs du jour, les trois compagnons de route firent leurs adieux à mamie Yona en la remerciant longuement pour son accueil chaleureux. Satine promit de revenir la voir un jour, quand les risques de guerre auraient été écartés. La vieille dame leur ouvrit la grille afin qu'ils puissent s'éclipser avant l'ouverture de la source au public, et ils s'éloignèrent sur les sentiers de montagne en direction de l'ouest.

— C'était un chouette endroit pour une lune de miel, nota Taïk, espiègle, en essayant de capter le regard de la générale.

Une pomme de pin que Saya avait lancée sans même se retourner rebondit sur son torse. Il lâcha un petit aïe pour le principe car c'était plutôt son amour propre qui avait été touché.

Ils ne croisèrent personne dans les montagnes et la journée se déroula de manière paisible. Ils s'arrêtèrent largement avant que la nuit ne tombe, Satine avait insisté pour qu'ils prennent tous les jours le temps de poursuivre son entraînement. Elle se plaignit également de douleurs dans le dos, ayant déjà perdu l'habitude de passer ses journées à cheval. Mais elle ne se défila pas et suivit la leçon de Saya avec assiduité.

Alors que la leçon touchait à sa fin, Taïk fouilla dans les sacoches de sa monture puis se dirigea vers sa sœur en dissimulant ses mains dans son dos :

— Satine, je voulais que tu saches que je suis très fier de tes progrès. Et pour te prouver ma confiance je veux te donner ceci.

Il dévoila une dague identique à celle que lui et Saya portaient en permanence à la cuisse. Il avait récupéré celle-ci sur les soldats qui l'avaient pourchassé après sa fuite du temple des Anciens et il pensait maintenant sa sœur capable de manier une telle arme pour se défendre si nécessaire. Satine apprécia grandement le cadeau ainsi que sa signification et elle se jeta au cou de son grand frère. Il n'avait plus qu'à accompagner son présent d'une petite leçon sur la façon de l'utiliser en toute sécurité. La princesse y fut particulièrement attentive.

Après un dîner revigorant, ils s'enroulèrent dans des couvertures pour dormir à la belle étoile côte à côte, comme aux premiers jours de leur aventure ensemble. Satine se sentait en sécurité entre ses deux camarades, simplement heureuse de partager tout ceci avec eux.


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Au matin du troisième jour, une tension particulière régnait dans le petit groupe. Ils savaient qu'ils n'allaient pas tarder à pénétrer sur le sol de l'empire et qu'il leur faudrait la matinée entière pour le traverser avant de pouvoir enfin souffler de l'autre côté de la frontière sumérienne. Ils progressèrent plus lentement que d'habitude, sur leurs gardes. Dans cette zone de haute montagne, la frontière était surtout symbolique, il était presque impossible de savoir à quel moment précis ils quitteraient la fédération Trasque pour poser le pied dans l'empire millénaire. Au bout du compte, c'était une bonne chose, ils ne risquaient à priori pas de croiser une patrouille de gardes-frontière sur ces hauteurs désertées.

— Ça y est, on est dans l'empire ? demanda Satine en s'agrippant dans le dos de son frère, les nerfs à fleur de peau.

— Sans doute que oui, répondit Taïk en lui tapotant la main pour la rassurer. Mais on en sera vite sortis, ce soir tu pourras admirer les étoiles en sécurité depuis la Sumérie.

— Une grande faille marque la frontière entre les deux territoires, précisa Saya. Au moins nous saurons exactement quand nous pourrons nous autoriser à relâcher la pression.

— Je m'inquiète un peu de savoir quel accueil nous sera réservé à la cité d'Ostia, confia la princesse.

— Vous n'avez pas à vous inquiéter, affirma la générale. La famille royale sumérienne était une alliée fidèle de votre père, elle vous recevra avec les honneurs dus à votre rang.

— Mon rang ? s'enquit la jeune fille avec une pointe d'ironie dans la voix. Quel rang ? J'ai fui mon palais en abandonnant tout.

— Vous êtes une impératrice en exil, votre majesté.

Satine se crispa, entendre ces mots lui fit l'effet d'un coup de massue.

— N-non, bégaya-t-elle. Mon père est peut-être...

— Non, l'interrompit Saya. Son exécution n'a sans doute pas été rendue publique pour éviter d'attiser la colère du peuple, mais ça aurait été un trop grand risque pour Hassama de garder l'ancien empereur en vie, il faut se rendre à l'évidence.

— C'est brutal de lui présenter les choses comme ça, reprocha le lieutenant à sa supérieure.

— On ne peut pas continuer à la protéger de la réalité. Une guerre terrible se prépare, l'avenir de ce continent s'écrira dans le sang. Et si nous voulons avoir une chance de nous en sortir, ce qui reste de notre armée aura besoin de pouvoir s'appuyer sur une dirigeante sûre d'elle, et une incarnation du pouvoir des chimères forte. Je ne veux pas qu'elle soit prise au dépourvu quand nous rejoindrons la résistance, alors il est temps que je l'informe de ce à quoi elle doit se préparer.

— Vous ne vous souciez même pas de ce qu'elle veut, elle ! protesta Taïk avec agacement.

— Arrêtez de la voir comme la fillette d'un forgeron, Osaki. Ça fait bien longtemps qu'elle n'est plus libre de sa destinée.

— Elle est pourtant bien fille de forgeron, insista-t-il avec véhémence. Elle serait plus en sécurité en retournant à une vie anonyme, je prendrais soin d'elle.

— Arrêtez de vous disputer ! cria Satine. Aucun de vous ne prendra de décision à ma place, c'est compris ? Saya, merci d'avoir été honnête avec moi, je vais prendre le temps de réfléchir à la situation. Et Taïk, merci de vouloir me défendre mais je suis assez grande pour le faire seule maintenant.

Le lieutenant répondit par un grognement ronchon en regardant Saya prendre un peu d'avance avec sa monture. Les décisions concernant sa sœur avaient toujours été source de friction avec la générale et il n'aurait s'en doute pas l'occasion d'en discuter seul à seul avec elle avant un moment. Ça le faisait enrager de devoir en rester là, suspendu dans une situation de conflit avec Saya, mais il ne pouvait rien faire pour arranger les choses dans l'immédiat. L'arrêt brutal de leurs retrouvailles nocturnes et de leurs conversations à tête reposée lui pesait de plus en plus, il sentait la jeune femme prendre davantage de distance avec lui à chaque jour qui passait et cette constatation commençait à le dévorer de l'intérieur.


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L'Éveil des Chimères (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant