[Romance fantasy] La générale Saya D'Alma perçoit sa nouvelle affectation comme un déshonneur : enseigner les rudiments du combat à la frêle fille de l'empereur Toa n'a rien de glorieux à ses yeux. Toutefois, lorsqu'un coup d'état menace la paix dan...
Le lendemain, après avoir aidé mamie Yona dans ses tâches ménagères, Satine rejoignit la générale qui s'était retirée à l'abri des regards dans la forêt. Saya transpirait à grosses gouttes, elle venait de déchaîner tout son stress et sa frustration contre de malheureux troncs d'arbre.
De toute évidence, leur arrêt forcé dans l'oasis de la source ne convenait guère à la jeune femme. Elle se sentait piégée, une proie immobile à la merci d'éventuels poursuivants, et par-dessus tout : inutile. Pendant que l'empire millénaire subissait l'autorité d'un tyran usurpateur de trône, pendant que ses frères d'arme étaient pourchassés et asservis, pendant que la résistance des valeureux s'organisait loin d'elle... on l'encourageait à se prélasser dans un lieu de villégiature paradisiaque. Alors qu'elle avait cru ne pas pouvoir tomber plus bas que le jour où on lui avait confié la tâche ingrate de former la fille de l'empereur à l'auto-défense, voilà qu'elle découvrait une nouvelle profondeur à l'abîme sans fond qui refusait de la laisser échapper à ses griffes.
Satine toussa pour signaler sa présence à la guerrière déchaînée.
— Vous vous entraînez ? demanda-t-elle, candide. Ça tombe bien, je voulais justement vous demander de reprendre ma formation.
— Non, cette fois je suis motivée, assura la jeune fille. Je veux apprendre à me défendre, j'en ai besoin. Et je pense que ça va m'aider à me rapprocher de mon pouvoir.
— Comment ça ? interrogea Saya.
Satine comprenait qu'on l'avait bridée toute sa vie en cherchant à la maintenir dans une bulle de paisible indolence. Les leçons de poésie ancienne, les séances de méditation, les cours de tissage, et toutes ces choses calmes et fades dont on l'avait abreuvée au fil des années n'avaient eues pour seul but que de museler son potentiel. L'unique petite parenthèse dans cette vie monotone avait été les leçons d'auto-défense prodiguées par Saya. L'empereur Toa les lui avait imposées malgré les fortes réticences de son professeur particulier, un prêtre formé au temple, bien évidemment. Elle savait au moins grâce à cela que son père adoptif n'avait jamais fait partie de ce complot contre le pouvoir des chimères ; s'il en avait eu vent, il aurait été furieux.
Et puis l'insurrection avait tout retourné dans la vie de la princesse. Ce n'était qu'en fuyant le palais et en se plongeant dans un quotidien plein de surprises, d'aventures, de rires et d'émotions en tout genre qu'elle avait enfin commencé à se sentir vivante, pleinement elle-même. Alors elle en était à présent convaincue, pour devenir une incarnation du pouvoir des chimères et se sentir complète, elle devait vivre sa vie au maximum. Rire, pleurer, aimer, hurler, frapper, elle éprouvait dorénavant le besoin de remplir son être de toutes les émotions qui pouvaient étreindre le cœur humain. Et pour commencer, elle s'était dit qu'apprendre à se battre serait un sacré bon défouloir.
Saya avait écouté avec attention les réflexions de la princesse et elle ne pouvait qu'abonder en son sens. Si ces traîtres du temple avaient voulu faire de Satine une jeune fille apathique et réservée, elle au contraire serait ravie de l'aider à libérer la bête qui sommeillait en elle. Cette fois, Saya ne ménagea pas son élève comme elle l'avait fait au palais, elle prit plaisir à la pousser dans ses retranchements pour découvrir une jeune fille battante et acharnée.
Satine déploya des trésors d'énergie qu'elle s'était bien gardée de révéler lors des séances imposées dans le confort de la cité impériale, trop insouciante qu'elle était à l'époque. Aussi distraite qu'elle avait pu paraître, elle avait pourtant très bien retenu les leçons de sa préceptrice et elle multiplia les efforts pour la rendre fière. Quelque chose avait effectivement changé chez la jeune élève, un déclic qui la poussait maintenant à se battre sans relâche, déterminée à prouver sa force et son utilité pour le groupe en dépit des attentes élevées d'une générale juste mais exigeante.
Après une bonne heure d'entraînement, Satine était épuisée mais diablement satisfaite d'elle-même. En guise de médaille, elle avait gagné quelques petites ecchymoses dans le processus et les voyait comme une preuve de sa détermination ; jamais petit bobo ne l'avait rendue aussi heureuse.
En retournant vers la maison pour prendre une pause bien méritée, elle vit son frère en train de couper du bois afin de rendre service à mamie Yona. La jeune fille lui expliqua quelles étaient ses nouvelles résolutions avec enthousiasme et il se montra ravi pour elle, bien que l'idée de voir sa petite sœur partir en quête de sensations fortes l'inquiétait légèrement.
Pendant qu'ils discutaient, Saya passa au loin. Elle leur jeta un bref coup d'œil avant de s'éloigner vers l'arrière de la maison où ils avaient installé leurs chevaux.
— J'ai l'impression qu'elle m'évite aujourd'hui, fit remarquer Taïk.
— Évidemment, t'as l'air d'un pervers à exhiber tes muscles pleins de sueur ! rouspéta la princesse en le gratifiant d'une tape. Mets une chemise !
Il poussa un soupira et reprit son labeur à coup de hache.
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