L'Éveil des Chimères (Terminé)

Chapitre 25 - Remords

— Arrêtez ! Arrêtez ! hurlait Satine en tentant de frapper la générale assise derrière elle.

Saya encouragea le cheval à accélérer encore et raffermit la cage de ses bras autour de la frêle princesse. La captive changea alors de tactique et passa ses deux jambes du même côté de l'animal, bien décidée à sauter à terre en pleine course. Quand Saya comprit la dangereuse manœuvre, elle tira sur les rênes et concéda enfin à marquer l'arrêt, dépassée par le comportement déchaîné de sa protégée en furie.

— Je n'irai pas plus loin sans mon frère ! s'énerva Satine en se laissant glisser pour descendre du cheval. Faites demi-tour ! C'est un ordre !

— Ce sont les ordres de votre père qui priment, nous devons nous éloigner du danger, je n'ai pas le choix.

— Vous êtes à mon service ! Retournez chercher Taïk tout de suite ! s'égosilla la princesse échevelée.

— S'il était là, il m'approuverait. Il voudrait que je vous emmène en sécurité le plus loin possible de cet endroit, vous le savez bien, se désola la générale, résignée.

— Je m'en fiche, et si vous refusez de m'aider j'irai le chercher toute seule !

Saya descendit du cheval à son tour et rattrapa par le bras la princesse déjà sur le départ.

— Il est resté en arrière pour nous donner le temps de nous enfuir, expliqua-t-elle. Si nous retournons nous jeter dans la gueule du loup, il se sera sacrifié pour rien.

— Sacrifié ? répéta Satine, le visage soudain inondé de larmes. Vous ne croyez quand même pas qu'il est... mort ?

La générale serra les dents, la contradiction faisait rage dans son esprit, son devoir envers l'empereur entrait en conflit avec son devoir envers un soldat sous sa protection. Elle devait veiller sur la princesse à tout prix, mais elle ne pouvait pas abandonner un homme comme ça, pas après en avoir déjà perdu tant à cause du traître Hassama. Le souvenir de tout ce que l'usurpateur lui avait déjà arraché rendit la décision plus facile à prendre, elle refusait catégoriquement de lui sacrifier le lieutenant Osaki en plus de tout le reste.

— Je vais y retourner, annonça Saya avec détermination.

— Vraiment ? Oh merci, merci, merci ! s'exclama Satine en se jetant dans les bras de sa protectrice.

— Mais j'y vais seule.

— Je vous fais confiance, acquiesça la princesse, comprenant bien qu'elle risquait d'être une gêne plutôt qu'un soutien.

— Vous pensez pouvoir vous débrouiller seule sur un cheval ? s'enquit Saya.

Satine lui assura que oui, elle avait suffisamment observé son frère et la générale au cours des semaines passées pour pouvoir s'en sortir seule. Cependant, elle ne voyait pas bien où sa protectrice voulait en venir.

— Vous avez besoin de moi pour votre plan ? proposa la princesse, pleine d'espoir.

— Je veux vous savoir en sécurité loin d'ici pendant que je retourne au temple, alors prenez le cheval et foncez droit vers le sud, la désillusionna Saya.

La générale expliqua que les patrouilles qui ne manqueraient pas de partir à leur recherche s'attendraient à ce que la princesse fuit vers la Sumérie, à l'ouest. En partant plutôt vers le sud, par stratégie, elle aurait de meilleures chances d'éviter l'ennemi. A un peu plus d'une journée de cheval se trouvait Warma, la première ville d'un autre pays voisin, la fédération Trasque. Une fois passée la frontière, il n'y aurait plus aucun risque de rencontrer des troupes de l'armée impériale. C'était la meilleure décision qu'ils pouvaient prendre dans l'immédiat.

Satine approuva ce plan, même si l'idée de voyager seule ne lui plaisait guère. Pour le bien de Taïk, elle était prête à suivre les directives de sa protectrice.

— D'accord mais il faut qu'on se donne un point de rendez-vous pour se retrouver plus tard à Warma, suggéra-t-elle, prévoyante.

— Pas dans la ville, refusa Saya. Ce serait trop risqué de vous y montrer, quelqu'un pourrait vous reconnaître.

— Qu'est-ce que vous préconisez alors ?

— A une dizaine de kilomètres de Warma se trouve une source d'eau chaude réputée, l'endroit est facile à trouver. Cachez-vous dans les montagnes à proximité de la source et je vous y retrouverai dès que possible.

— Très bien, faisons comme ça, mais promettez-moi de ramener mon frère, insista l'altesse inflexible.

Saya acquiesça d'un mouvement du menton déterminé puis la princesse se jeta dans ses bras avec gratitude. Elles échangèrent quelques brèves recommandations et paroles d'encouragement avant que Satine ne grimpe sur le cheval, elle avait l'air minuscule sous la cape de prêtre que la générale lui avait transmise pour lui tenir chaud en route.

— Retrouvez-moi vite tous les deux, implora la princesse en jetant un dernier regard derrière elle.

Saya l'observa s'éloigner avec une anxiété grandissante. Elle n'était pas sûre d'avoir pris la bonne décision. Elle ne se le pardonnerait jamais s'il arrivait malheur à cette douce jeune fille qu'elle était censée protéger. Mais l'idée d'abandonner le lieutenant à son sort lui était tout aussi insupportable, elle ne pouvait que faire demi-tour, c'était écrit.

Il faisait presque nuit et elle se trouvait à une dizaine de kilomètres du temple, il ne lui restait plus qu'à rebrousser chemin au pas de course en espérant ne pas arriver trop tard.