Les jours suivants défilèrent rapidement. Ils laissèrent les reliefs de la montagne derrière eux et bifurquèrent au nord en direction d'Ostia, la capitale sumérienne. Le reste du voyage était censé se dérouler dans le calme maintenant. Satine poursuivait ses entraînements quotidiens avec assiduité et voyait d'un bon œil la discrète complicité retrouvée entre son frère et la générale. Elle s'assurait de laisser assez d'espace à ses compagnons pour qu'ils puissent discuter régulièrement à l'abri de ses oreilles de jeune fille curieuse. Elle aurait pourtant adoré en savoir plus sur ce qui se passait réellement entre eux, mais Taïk se montrait toujours très pudique sur le sujet malgré son insistance. En attendant, elle se contentait de feindre ne pas remarquer les sourires, les regards complices et les gestes affectueux que les deux soldats tentaient de dissimuler à son œil averti.
Cet après-midi-là, un village était en vue au milieu de la plaine. Les voyageurs n'avaient plus d'eau, ils n'avaient pas vu l'ombre d'une rivière depuis plusieurs jours. Le climat dans cette partie de la Sumérie était beaucoup plus sec que ce à quoi ils étaient habitués, il y avait bien moins de forêts et de verdure en général. Même si Saya était réticente, leur seule option était de se diriger vers ce village qui devait forcément disposer à minima d'un puits pour pouvoir subsister dans cette zone quasi désertique. Les deux jeunes femmes rabattirent leur capuche sur leur tête. Taïk se sentait quant à lui plus serein, après tout son visage ne s'était jamais retrouvé imprimé sur un avis de recherche, ce qui le vexait encore un tantinet en y repensant.
Le village était vraiment très modeste, composé d'une large rue principale et de seulement quelques petites ruelles attenantes. Les rares habitants les dévisagèrent, sans doute peu habitués aux visiteurs, mais personne ne les aborda lorsqu'ils s'approchèrent du puits au centre du village. Saya tira sur la corde pour remonter un seau d'eau tandis que Taïk surveillait les alentours. Elle venait tout juste de récupérer le seau quand le lieutenant attira son attention en lui tapotant sur l'épaule.
Deux hommes sortis d'une minuscule auberge se dirigeaient vers eux. Ce n'était pas des villageois, ils avaient une carrure trop impressionnante et portaient de longs manteaux à capuche parfaits pour dissimuler une épée. Saya et Taïk se positionnèrent devant la princesse, prêts à la défendre, lorsque l'un des hommes écarta légèrement les pans de son manteau pour montrer son uniforme de l'armée impériale avant de lever les mains en signe de paix.
— Générale D'Alma, c'est bien vous ? demanda l'homme avec un grand sourire.
Son visage lui était familier, elle commença à se détendre un peu.
— Caporal Yllan, se présenta-t-il. J'ai servi sous vos ordres il y a environ trois ans pendant une mission dans les territoires de l'Est. Vous ne vous souvenez peut-être pas de moi.
— Si je ne m'en souviens pas c'est que vous n'avez rien fait pour m'énerver, tant mieux pour vous, résuma-t-elle.
— Générale, je suis ravie de voir que votre humour légendaire est intact !
— Humour ? chuchota Taïk à l'oreille de sa sœur. J'aurais plutôt dit sarcasme.
Satine laissa échapper un gloussement discret qui attira l'attention du caporal.
— Alors les renseignements qu'on nous a fournis étaient exacts, se réjouit l'homme. Vous avez réussi à ramener la princesse jusqu'ici, c'est un grand espoir pour la résistance.
Le caporal Yllan les invita à partager un dîner dans la petite auberge où il s'apprêtait à passer la nuit avec son partenaire le soldat Jacobin. Il leur expliqua que des espions encore en place au sein de l'armée d'Hassama les avaient informés que la princesse avait été identifiée dans les montagnes du côté de la Sumérie Sud. La résistance avait immédiatement déployé plusieurs groupes d'hommes pour quadriller le secteur. Le caporal leur confirma également qu'il y avait une escalade quotidienne des tensions entre l'empire millénaire et la Sumérie, cette dernière refusant catégoriquement d'extrader les membres de la résistance vers leur terre d'origine. La guerre se préparait des deux côtés, et les habitants de l'empire en payaient déjà le prix en se faisant dépouiller de leurs économies et de leurs vivres pour entretenir l'armée grandissante de l'empereur illégitime.
— Vous allez nous escorter jusqu'à Ostia ? interrogea Saya.
— Non, la reine Albizia nous a autorisé à installer un camp à proximité de la frontière avec l'empire. C'est là que nous vous emmenons, informa le caporal.
Ainsi donc, la résistance serait aux premières loges lorsque l'inéluctable guerre éclaterait. Taïk fit de son mieux pour masquer sa désapprobation, il aurait préféré savoir sa sœur en sécurité aux côtés de la famille royale sumérienne mais il savait déjà qu'elle refuserait cette possibilité, Satine voudrait être au cœur de l'action avec l'espoir à peine dissimulé de réussir enfin à libérer ses pouvoirs dans toute leur splendeur. Si tel était le souhait de la jeune fille, il se tiendrait à ses côtés avec une indéfectible loyauté.
Après le dîner, le caporal Yllan paya l'aubergiste pour le repas ainsi que pour les deux seules chambres du modeste établissement. Il invita le lieutenant à dormir avec lui et Jacobin mais Satine vint à son secours en insistant pour que son garde personnel reste auprès d'elle. Les trois amis devraient se partager deux lits simples et une vieille banquette au rembourrage fatigué, ce qui restait malgré tout plus confortable qu'une nuit à la belle étoile à même le sol. Demain à la première heure, ils partiraient pour leur dernier périple ensemble. Dans une semaine ils auraient atteint le camp de la résistance, mais personne ne savait vraiment ce qui allait se passer ensuite.
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L'Éveil des Chimères (Terminé)
Fantasy[Romance fantasy] La générale Saya D'Alma perçoit sa nouvelle affectation comme un déshonneur : enseigner les rudiments du combat à la frêle fille de l'empereur Toa n'a rien de glorieux à ses yeux. Toutefois, lorsqu'un coup d'état menace la paix dan...