Chapitre 4 - Fuir ses vieux démons

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Léonie

Au fil de mes pas ou plutôt devrais-je dire de ma course, j'ai la sensation terrible que les murs de cet établissement se rapprochent pour se renfermer sur moi.

Faire allusion à ce qu'il s'est passé l'an dernier et ce qui m'a contrainte de quitter de toute urgence mon ancien lycée, n'est assurément pas une bonne idée.

Pour autant, je ne peux pas me permettre de laisser ma façade se craqueler, mon bouclier se briser. Sinon, je ne ferais pas long feu en cette première semaine de cours. Et je me dois de tenir ma dernière année du début à la fin.

J'avale ma salive successivement comme si j'étais sur le point de m'effondrer déshydratée.

Je ne sais comment, je parviens à retrouver cette immonde fontaine dans le hall et j'y pose les mains à plat sur le bord. La tête baissée, le dos courbé, je ferme les yeux et essaie de recouvrer la normalité d'une respiration.

Calme toi, Léo, calme toi... Toi-même tu l'as dit, c'est du passé.

Oui, enfin, il suffit qu'une seule personne ici remonte mes antécédents et tout recommencera... et honnêtement, je ne me sens pas de revivre ceci pour la seconde fois.

Je frémis d'un frisson désagréable rien que d'y songer.

Pense à quelque chose qui te rend heureuse. Facile. Voir Yungblud en concert. Penser à mon artiste préféré me ramène à ses chansons et ses incroyables messages qui ne cessent de faire passer.

J'inspire et expire plusieurs fois jusqu'à sentir mon cœur ralentir ses battements. Je fais glisser mon sac de sur mon épaule et en me redressant, je le soulève pour le poser sur le rebord de la fontaine et fouille à l'intérieur. Si je ne dis pas de bêtises, une bouteille d'eau est censée s'y trouver...

Bingo ! Je la sors et après l'avoir débouché, j'en bois de longues gorgées. J'ai la gorge horriblement sèche et ce début de crise angoisse n'aurait jamais dû avoir lieu, bon sang.

Je ne peux pas prendre ce risque. Je dois seulement tenir une année scolaire de plus pour enfin être libéré après. Je peux le faire. Je suis forte. Je vais y arriver.

Remotivée et allant mieux, je range la bouteille dans mon sac à dos, sors mon emploi du temps pour me renseigner sur le second cours qui va avoir lieu.

Ah non, c'est permanence.

Deux options s'offrent à moi : soit je sèche et je sors, soit je vais en études me faire chier comme un rat mort.

Le choix est vite fait et tant pis si c'est le mauvais.

Je rassemble les affaires et balançant mon sac sur mon épaule, je m'empresse de sortir du bahut en profitant de me fondre dans les quelques élèves qui sortent. Ni vu ni connu.

***

Ce premier jour de cours touche à sa fin et je suis... épuisé. Mentalement. J'ai l'impression d'avoir laissé mon énergie faire le tour du monde pendant toute la journée.

Quand j'arrive devant chez moi, une maison dans une rue aisée de Chicago, la Mégane noire garée devant m'indique que ma mère est à la maison.

La maison plutôt devrais-je dire leur maison.

Je pousse un soupir en passant le portail. Ça fait un an et demi que ma mère a rencontré Elia. Une femme qui est une véritable perle. Pour autant, je ne me suis jamais vraiment sentie chez moi depuis que j'ai quitté Boston.

Et mon père.

La relation entre ma mère - Gaëlle - et moi est assez compliquée. Elle ne comprend pas mes choix de vie et bien qu'elle essaie désespérément de briser la glace avec moi, je reste obstinément fermé à toute tentative de discussion. En soit, je suis le problème mais c'est bien trop récent pour que j'accepte de me confier. C'est là. En moi. Dans la tête. Dans mon corps.

Sur ma peau...

Je fuis mes démons mais ils trouvent toujours le moment propice pour revenir, flirter avec les limites que je m'impose et me faire basculer par dessus bord. Officiellement, je suis une personne extravertie.

Officieusement, je suis beaucoup trop introvertie.

Je me suis isolé dans une solitude, j'ai confectionné soigneusement cette protection que sont mes vêtements et mes cheveux. Je me noie dans les chansons de Yungblud et je me perds moi-même dans la quête de mon identité.

Je me camoufle tellement que j'ai peur de finir par ne plus savoir qui je suis.

J'ouvre la porte d'entrée, dépose mes clés sur la console disposée dans l'allée, et le tintement métallique avertit de ma présence.

– Je suis rentrée ! je lance tout de même, avançant pour rejoindre le salon aux couleurs sobres mais chaleureuses.

– Hey, bella, me salue Elia en faisant rouler son fauteuil en arrière et se tourner vers moi.

Je réponds que d'un furtif sourire et je remarque alors que ma belle mère est devant l'ordinateur.

– L'inspiration t'es revenue ? je m'enquiers en avisant l'écran.

– Oui et non. J'écris quelques phrases par ci, par là, elle soupire en regardant sa page Word où je peux voir quatre phrases inscrites.

Elia me refait face, se lève de son fauteuil qui se réhausse, délesté du poid humain et s'avance vers moi, claquant un bisou sur le sommet de ma tête.

– Comment s'est passé cette rentrée ? me demande-t-elle en rassemblant ses cheveux bruns dans un chignon flou.

Je hausse une épaule.

– Une rentrée comme une autre, je biaise.

Elia lève un sourcil, me passant au scan dans sa tête.

– Léo, finit-elle par soupirer, décidant d'abandonner son étude de ma personne. Tu sais très bien ce que je veux dire, petite futée.

– Ça va, je souris. Je t'assure.

Elle n'a pas le temps d'ajouter quoi que ce soit ou de me cuisiner davantage, car elle est interrompu par l'arrivée pour une fois qui me rend service de ma mère.

– Il est arrivé ? s'exclame-t-elle.

Elia se tourne vers elle alors que je fronce les sourcils.

– Pas encore, mais il ne va pas tarder, répond sa compagne en même temps que je demande :

– De qui vous parlez ?

Ma mère semble remarquer que maintenant ma présence.

– Oh Léo ! elle se réjouit en venant virevolter autour de moi. Comment s'est passé ta rentrée, ma chérie ?

– Bien, je réponds avant d'insister : qui doit arriver maman ?

– Mon fils, répond Elia.

Ce n'est pas le fait de savoir qu'Elia a un fils qui me déconcerte. Je le savais déjà même si j'ai oublié son prénom. Non, ce qui me rend confuse, c'est qu'apparemment, il doit vivre ici et que je n'étais pas dans la confidence.

Remarquant mon air perdue, Elia s'explique :

– Il vivait à New-York avec son père mais il s'est fait virer de son lycée. D'un commun accord avec Drys - et j'en déduis que ce doit être le nom de son ex - on a convenu qu'il viendrait refaire sa dernière année de terminale ici. Et qu'il viendrait vivre avec nous.

– Et il ne devrait plus tarder à arriver, d'ailleurs, ajoute ma mère.

Au même moment, on entend la porte d'entrée s'ouvrir et Elia esquisse un sourire en disparaissant dans le hall. Ma mère en profite pour se rapprocher de moi et m'offrir quelques précisions :

– Il a un an de plus que toi mais vous devriez bien vous entendre.

Je ne dis rien car Elia revient, accompagné de son fils.

– Gaëlle, Léo, voici Nathanaël.

Mes sourcils se haussent et ma bouche s'entrouvre quand je reconnais le gars qui m'a accosté au lycée et qui m'a attribué du surnom Picasso.

Incroyable comment le monde est petit, hein ? raille ma conscience. 

LOVE NIGHT (TERMINÉE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant