Chapitre V

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Suite à la veillée de la paroisse, la relation entre l'inspecteur Javert et monsieur Madeleine évolua catégoriquement. Ce qui jusque-là n'était que de la curiosité bien digne d'un policier s'ennuyant à mourir dans un poste de province devint une volonté sourde de trouver la faille.

La faille dans le personnage si respecté et si respectable de monsieur Madeleine !

Et dans cette lutte, le Père Fauchelevent eut une nouvelle utilité pour l'inspecteur : il lui fournit sa première véritable arme contre M. Madeleine.

Une nouvelle rencontre inopinée eut lieu entre le transporteur et le policier. On était prudent maintenant, on ne se rencontrait plus pour boire un verre, on se saluait de loin.

Le Père Fauchelevent vérifiait le harnachement de son cheval lorsqu'il jeta le bonjour à l'inspecteur de police.

Poliment, Javert s'approcha du vieillard, appréciant à sa juste valeur le recul des passants devant lui.

On ne se moquait plus du gitan, maintenant, on craignait le policier.

" Comment vous portez-vous Fauchelevent ?, demanda l'inspecteur en examinant d'un œil de connaisseur les jambes du cheval du transporteur.

- Vous a-t-on parlé des cambriolages nocturnes, inspecteur ?"

Javert gela dans son mouvement mais cela ne dura qu'un battement de cil. Il se reprit et poursuivit l'examen du cheval.

" Des cambriolages ?

- Allez voir la veuve Mureau, inspecteur."

Un simple hochement de tête et le policier retourna à sa patrouille, non sans avoir lancé d'une voix qui portait :

" Prenez garde au chargement, Fauchelevent, il est mal réparti. Le poids porte sur le côté gauche et déséquilibre le cheval. Il risque de s'effondrer.

- Bah !, fit le transporteur, indifférent. Bayard connaît son métier, tout comme moi.

- Alors évitez la Cavée Saint-Firmin ou vous risquez de ne plus avoir de métier. Ni vous, ni lui."

Sans répondre, le Père Fauchelevent fouetta son cheval et la charrette partit au pas.

L'inspecteur, quant à lui, fila voir la veuve Mureau.

Il ne fallut que la présence, pleine d'autorité, de l'inspecteur pour que la vieille femme, livide de peur, avoue ce qu'il s'était passé la nuit dernière.

" Un cambriolage, inspecteur. Je ne sais pas.

- A-t-on forcé la porte, oui ou non ?, claqua le policier en examinant la serrure, manifestement abîmée.

- Oui, admit la femme, apeurée.

- Donc c'est un cambriolage !, rétorqua Javert en se frottant les mains, tout heureux de cette affaire.

- Mais inspecteur, rien n'a été volé !, opposa faiblement la malheureuse.

- Et alors ?, jeta durement Javert. Forcer la porte est déjà un délit.

- Mais, mais je ne veux pas que celui qui a fait cela soit condamné !"

L'inspecteur Javert disposait de plusieurs armes à son usage. Des armes réglementaires, bien entendu. Pistolet, épée, gourdin, poucettes... Mais, tout aussi terribles, il disposait d'armes fournies par la nature.

Il lui suffisait de se pencher de toute sa hauteur, de darder ses yeux gris si clairs et de croiser ses longs bras devant lui pour provoquer la peur.

Ajouté à cela son sourire de fauve, perdu dans ses favoris si touffus, et vous aviez une vision cauchemardesque.

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