Chapitre XXXVI

1 1 0
                                    


EPILOGUE

Le bagne de Toulon était resté le même, et pourtant il avait changé.

Il avait perdu ses allures de chantier et était à présent une usine où des milliers d'esclaves s'évertuaient à renflouer "La Royale", la marine du roi.

La puanteur étouffante, le pain noir, la soif et les coups de matraque restaient les mêmes.

Le mistral se figeait dans les os glacés ; la mer et la brume trempaient encore les uniformes qui, comme une seconde peau toujours imbibée, enveloppaient le corps des prisonniers même pendant leurs heures de sommeil.

Jean Valjean était à présent plus vieux.

Il était toujours taciturne et renfrogné, dur comme les maillons de sa chaîne. Évasif et tenace, déterminé à demeurer en vie.

Il portait maintenant les lettres d'infamie, TP, gravées sur son épaule.

Son bonnet de laine, qui était autrefois rouge, était maintenant vert.

Les marques irréfutables de l'emprisonnement à vie.

Mais quelque chose l'empêchait désormais de lever encore son poing contre son prochain ; là où il n'y avait autrefois que de la colère, commençait à poindre la compréhension.

Jean le Cric et Monsieur Madeleine s'amalgamaient pour former une créature improbable...

Cette situation le perturbait.

Malgré cela, Jean Valjean était aussi plus avisé que lorsqu'il avait quitté le bagne huit ans auparavant.

Peu après son arrivée, il avait fait bon usage des ressources qu'il avait amenées avec lui ; ainsi, un pot-de-vin judicieusement administré au garde approprié lui avait permis de dormir à terre au lieu de retourner au bagne flottant. Il avait payé à prix d'or le privilège d'échanger le bois pourri d'un pont contre les planches inégales d'un lit de camp, le tôlard, dans l'une des salles.

Un napoléon avait acheté la prérogative de se faire accoupler à Tarillon, homme sérieux et tranquille sur le point de compléter sa sentence.

Tarillon était encore jeune, mais expérimenté et fort comme un bœuf. Il était

respecté de nombreux forçats et suscitait la peur chez beaucoup d'autres.

Comme dans toute prison, tout était finalement connu dans le bagne. Dès le début, la rumeur du retour de Jean le Cric s'était répandue et son histoire haute en couleur s'était propagée parmi la chiourme comme une traînée de poudre.

Les gardes le montraient aux touristes comme l'on montre une attraction foraine en échange de quelque menue monnaie...

Valjean se laissait faire, plus soucieux d'une rumeur différente qui pointait au fait qu'il avait de l'argent caché dans un quelconque trou du bagne. Cette rumeur, qui était vraie mais pas exacte, lui coûterait bientôt des servitudes qu'il n'était pas prêt à assumer ; elle pourrait même lui coûter la vie.

Tarillon comprit bien vite qu'il avait été embauché comme garde du corps ; côte à côte, les deux hommes unissaient leurs forces pour ne jamais avoir à les employer.

La dissuasion... Un élément qui est impossible à négliger lorsqu'on demeure parmi les fauves.

Jean Valjean était toujours dur à la tâche, infatigable. Féroce.

Le travail rendait les jours plus courts et les nuits moins longues.

La fatigue le submergeait et, comme pendant autant d'années, le clouait sur les planches où il songeait le regard perdu et l'esprit plongé dans les ténèbres.

MontreuilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant