Avec ces ordres, Madeleine venait de distribuer les cartes pour la dernière partie entre Javert et lui ; ils ne mesureraient plus jamais leur colère et leur rancune.
Il n'y aurait pas de lendemain.
Car, s'il agissait sans tarder, Madeleine aurait encore le temps de vendre son usine et son brevet. Il assurerait ainsi la survie de l'entreprise et la stabilité des employés. Et il serait ensuite libre de disparaître.
Sinon...
Comme l'avait dit Javert, il ne serait pas difficile de trouver une raison d'arrêter le faux magistrat.
L'inspecteur savait désormais qu'il avait été bagnard à Toulon.
Il en oubliait le Chouan pour se concentrer sur le bagnard.
Oublié les principes de déférence et de respect !
Un bagnard restait un bagnard et Javert avait le bagne dans le sang !
Si Javert voulait se montrer de bonne volonté envers lui, il pouvait supposer que Madeleine, en tant que Blanc, avait été gracié au début de la Restauration. Les dates concordaient.
Mais une simple lettre envoyée à Toulon suffirait à prouver que la grâce était fictive ; de plus, elle lui apprendrait qu'il n'y avait pas eu de Jean Madeleine au bagne de Toulon en début de siècle.
Sans grâce, Madeleine subissait toujours la mort civile qui poursuivait les galériens jusqu'à leurs tombes.
Il n'était pas électeur et ne pouvait être candidat. Pas même son témoignage devant un juge n'était recevable !
Madeleine ne pouvait point être magistrat.
Sans une grâce pour le réhabiliter et sans documents prouvant son assignation de résidence à Montreuil, Madeleine devenait automatiquement un galérien en rupture de ban.
Et de plus, un qui commettait contrefaçon sur contrefaçon avec chaque document qu'il signait sous un nom supposé.
Emprisonnement à vie.
Javert n'aurait qu'à choisir.
Madeleine cessa de regarder le fond de son gobelet et avala la dernière gorgée de café.
" Je dois partir maintenant, inspecteur. Je ne pense pas avoir causé de dommages à votre serrure, mais si vous souhaitez la changer envoyez-moi la facture."
Javert regarda le maire et tendit la main, souriant avec son air moqueur :
" Le prix habituel est de deux louis d'or, non ?
- Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, inspecteur... Mais tenez, je trouve que deux louis pour les dommages est un prix raisonnable."
Les deux pièces brillèrent dans la main de l'inspecteur et Javert déposa le tout sur sa table.
" Bien, maintenant, monsieur le maire, je vais vous promettre une chose ! Je vais tout faire pour que Bamatabois soit arrêté. Je n'aurai aucun scrupule à user de n'importe quel...subterfuge. Ce salopard a failli m'avoir. Il aurait dû."
Javert ouvrit la porte d'entrée puis s'y adossa pour laisser sortir Madeleine. Le maire lui fit ses adieux par un simple hochement de tête.
Alors qu'il avait déjà un pied sur les pavés, il ressentit l'urgence de rebrousser chemin pour regarder en face son inspecteur une dernière fois.
Il referma la porte lorsqu'il vit s'illuminer le gris de ses yeux. Des étoiles filantes ?
Un instant de doute puis sa main se leva si doucement ; sa paume frôla la barbe naissante de Javert ; ses doigts s'emmêlèrent dans les favoris hérissés et pourtant si doux au toucher.
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Montreuil
FanfictionEt si nous revenions à Montreuil-sur-Mer ? Souvenez-vous ! Il y a la mairie et juste en face le commissariat. Il y a M. Madeleine, alias Jean Valjean, et l'inspecteur Javert. Il y a un terrible jeu du chat et de la souris... Ecrit en collaboration a...