Chapitre XXXVII

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La petite oubliait souvent de se débarbouiller. Elle oubliait de se coiffer et de mettre son bonnet.

Cependant, elle ne manquait jamais d'aller à la recherche du balai dès qu'elle ouvrait les yeux au petit matin.

Peu importe le nombre de fois que Valjean lui avait répété que, dorénavant, son unique obligation était de jouer.

Et, bien qu'il ne l'ait pas dit, de se laisser contempler.

La petite n'était pas ce qu'il attendait ; maigre et endurcie par le travail, elle avait des élans de tendresse candide envers la poupée que le galérien lui avait offerte. De plus en plus souvent, cette douceur qui ne s'encombrait que rarement de mots s'adressait aussi à Valjean.

Jean Valjean découvrait l'affection naissante dans les regards limpides qui s'attardaient sur lui, accrochés à ses yeux incrédules de forçat ; dans une petite main qui ne craignait plus de se laisser tenir... Dans les rares sourires que Cosette lui cachait un petit peu moins.

" Papa ?"

Le mot semblait encore hésitant parfois.

" Dis-moi, ma petite.

- Nous allons aussi regarder les plantes aujourd'hui ?"

Il neigeait dehors. Les carreaux encrassés étaient à peine assez épais pour garder le froid éloigné.

Valjean avait jeté un coup d'œil au poêle qui ronflait à pleine puissance mais qui n'arrivait pas à empêcher leurs souffles de se condenser en petits nuages blancs.

" Tu sais, Cosette, tu as le droit de dire si tu n'aimes pas quelque chose."

La fillette laissait son regard vagabonder sur la robe couleur du ciel de sa poupée.

" C'est que ça c'est pas facile. Je ne sais pas ce que j'aime, moi. Parfois, je sais les choses que je n'aime pas, mais..."

Cosette avait laissé le reste de la phrase se perdre pendant qu'elle mordillait sa lèvre inférieure.

" Je ne sais pas. Maman m'aurait dit. Les mamans savent ces choses, non ?

- Oui, ma Cosette. Les mamans savent ces choses.

- Et les papas aussi ?

- Et les papas aussi.

- Alors je suis contente que tu sois mon papa. Même si je suis triste pour maman.

- Elle...était malade ma Cosette... "

Cosette hocha la tête et lutta fièrement contre les larmes.

Valjean hocha la tête à son tour. Même s'il ne trouvait pas le moyen de réconforter la petite,Valjean comprenait. Il ne pouvait pas s'empêcher de comprendre une enfant qui n'avait jamais eu de choix ni de guide.

Incertain, il examina l'approvisionnement en bois ; même s'ils laissaient le poêle brûler nuit et jour, il durerait encore une semaine.

" Je vais chercher le dîner. Tu veux du lait ou tu préfères du vin ?." dit Valjean sur un ton léger et doux.

Cosette avait regardé Catherine, sa poupée, tandis qu'elle laissait échapper un petit rire.

" Le lait se boit le matin, papa. Et les petites filles ne boivent pas de vin.

- Ah ! De l'eau alors pour nous deux."

Le galérien avait ramassé alors la casserole et les deux bols sales de la veille pour les rendre à la tenancière de la gargote d'une rue avoisinant la masure.

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