Chapitre XXXIII

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Le soir de Noël était si triste et grave.

Pas d'étalon caracolant et encensant sa tête pour montrer ses beaux rubans.

Pas d'enfants criant de joie et courant dans les rues.

Pas de chef de la police faussement grognon qui lui souriait en vidant un à un les paniers de friandises.

A la place, la réunion de la paroisse, qui plus que les autres années, était une affaire ennuyeuse et lourde.

Comme chaque année, le commun des habitants de la ville était absent, profitant probablement des quelques heures de liberté qu'ils avaient devant eux pour se reposer ou pour préparer le souper qu'ils allaient partager autour de la table familiale.

Seuls les bourgeois et aussi quelques petits nobles qui restaient encore dans les lieux se réunissaient dans les locaux de la paroisse pour socialiser et déguster le vin préparé à leur attention.

On parlait âprement de la discussion qui avait opposé le comte de Villèle et le duc de Montmorency à propos de l'occasion historique d'envoyer les troupes françaises soutenir les droits des Bourbons d'Espagne.

On parlait de la forme que prendraient les décolletés l'année suivante, on parlait du fils cadet d'un baron qui avait engrossé une mercière...

Madeleine se sentait profondément aliéné de cette société et aussi de ses intérêts ; il était aussi déplacé parmi ces gens que semblait l'être Javert, ignoré de tous de l'autre côté de la pièce.

Le maire n'attendait, une année de plus, que le curé et les dames du comité de charité viennent chercher sa donation pour après présenter ses excuses et disparaître.

Seulement cette année, rentrer dans sa petite chambre et parmi ses livres ne semblait pas être aussi tentant que par le passé.

" J'ai entendu dire que vous vous êtes promené dans la ville distribuant l'aumône et des douceurs comme si vous vous preniez pour un roi mage. Et j'ai passé la journée à me demander si vous ne succombez pas aux séductions de l'orgueil, lui dit le prêtre lorsqu'il atteignit enfin ses côtés.

- J'espère que non, monsieur l'Abbé... L'initiative est venue des ouvrières de mon usine : elles et leurs voisines ont fait tout le travail ; je les ai juste financées et fait la distribution comme elles l'ont demandé...

- La naissance de notre Seigneur se célèbre devant les autels, Madeleine. Le reste ne sont que superstitions et traditions païennes que je suis surpris de vous voir encourager.

- Des traditions ? Monsieur l'Abbé... Je ne connais pas de telles traditions. L'idée était de faire en sorte que les plus petits participent aussi à la fête. En fait, la distribution ne s'est pas faite uniquement dans les quartiers défavorisés.

- Vous vous engagez sur une pente glissante, monsieur le maire. Il est facile de confondre devoir et orgueil, et vous n'êtes qu'à un pas de le faire."

Madeleine baissa la tête.

Quelque chose en lui se rebellait.

Il savait pertinemment que le curé était un homme excellent, droit dans sa morale et dans sa vie personnelle. Un homme qui, dans son empressement à faire parvenir de l'aide aux moins fortunés, ne craignait pas de sacrifier son temps et sa patience à ce genre de réunions sociales où il ne donnait jamais l'impression de s'amuser.

Mais le curé avait tort.

Ou alors, était-ce Madeleine qui se trompait ? Comment le savoir ?

" Allez-vous collaborer avec la paroisse cette année aussi, monsieur le maire ?, demanda le prêtre avec le meilleur de ses sourires.

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