Chapitre IX

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La prochaine rencontre entre l'industriel et le policier, en dehors de ces dimanches passés à entraîner le cheval, produisit une forte impression sur ce dernier.

Une fois de plus.

C'était rare que l'inspecteur se promène dans les champs entourant la ville. Il restait cantonné au territoire des remparts.

Mais le maire avait signalé au policier un souci de voirie dans la campagne et, obéissant, Javert était allé inspecter, délaissant Gymont.

Marchant lentement et profitant du soleil déjà chaud de juin, le policier aperçut clairement M. Madeleine.

Ce fait aurait déjà intéressé l'inspecteur mais ce fut le fusil dans les mains de l'industriel qui l'attira.

Javert en oublia la voirie et les ordres de son supérieur pour filer M. Madeleine.

Il était bon à ce jeu-là. Mais dans les rues des villes. Filer quelqu'un dans les champs et à ciel ouvert semblait illusoire.

M. Madeleine se promenait, profitant lui aussi du beau temps et d'un instant de tranquillité.

Javert ne remarquait qu'à peine la beauté du paysage et les champs à perte de vue, il dardait son regard sur M. Madeleine.

Soudain, l'homme épaula son fusil.

Javert, en véritable chien de chasse, chercha des yeux la proie convoitée. Il ne lui fallut qu'un instant pour apercevoir le lièvre posté dans son gîte. Immobile et assis droit, il se fondait dans le paysage.

Un beau coup de fusil !

Javert attendit de voir agir M. Madeleine.

Mais l'homme ne tira pas. Cependant, lentement, M. Madeleine s'avança. Cette erreur de débutant fit lever les yeux au ciel au policier et le lièvre, conscient du mouvement, s'enfuit à toute vitesse.

Et ce fut impressionnant.

Cela ne prit qu'une seconde à M. Madeleine.

La balle partit et foudroya le sol, si proche du lièvre que celui-ci bondit en l'air avant de courir de plus belle.

Il était évident que le coup avait été raté exprès.

Javert en fut tellement ébahi qu'il commit l'erreur d'avancer à son tour et de faire craquer une branche.

M. Madeleine se retourna vers lui et le policier se retrouva sous la visée de l'industriel.

" Peut-on savoir ce qu'il vous prend ? A-ton-idée de vouloir surprendre un homme qui épaule son arme ? J'aurais pu vous tirer dessus !"

Madeleine ferma les yeux tandis que ses lèvres disparaissaient en une ligne serrée ; il secoua la tête comme s'il voulait repousser une pensée importune.

" Veuillez m'excuser, Javert. Mon arme est un fusil à deux coups et je ne m'y suis pas encore habitué.

Puis, après avoir passé son pouce sur les chiens pour s'assurer qu'ils n'étaient pas armés, il présenta son fusil à l'inspecteur.

Javert relâcha son souffle, il n'avait même pas eu conscience de l'avoir retenu.

Ce n'était pas que le fusil braqué sur lui, c'était les yeux !

Il les avait déjà vus ainsi et ils brillaient de haine en le regardant. Le policier ressentit cela comme un coup de poing en plein ventre.

Malgré lui, il murmura :

" Vous ne portiez pas une barbe à une époque ? Une barbe fournie ?"

Machinalement, le policier s'approcha de Madeleine pour prendre le fusil et l'examiner.

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