Chapitre VIII

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" Inspecteur, fit Magnier, la voix lasse, vous n'avez nul besoin d'un cheval.

- Je le sais très bien, monsieur, opposa Javert, en tenant humblement son chapeau entre ses doigts. Ce n'est pas pour mon usage personnel, monsieur, mais monsieur le maire souhaite me voir accomplir des patrouilles dans la campagne aux alentours. Je ne peux pas assurer mon poste en ville et me trouver en même temps dans les campagnes environnantes. J'ai dû aller jusqu'à Etaples une fois."

Là, Magnier fut surpris et regarda Javert avec consternation.

" Etaples ? Mais c'est à trois heures de marche d'ici.

- Vous comprenez mon désarroi, monsieur.

- Oui, oui. Je saisis."

Magnier se frotta le menton et examina ce policier qui venait le déranger avec ses demandes de soutien logistique. Hier c'était deux gendarmes attitrés pour lui permettre de mieux assurer la loi, aujourd'hui c'était le prêt d'un cheval pour les patrouilles.

Magnier soupira et céda :

" Allez dans les écuries, inspecteur, et choisissez-vous une monture. Bien entendu, elle restera ici.

- Bien entendu, ce ne sera un emprunt que très rare et pour une durée très courte."

Le chef de la gendarmerie fit un geste indifférent, puis, pris par une idée, il lança :

" Mais vous savez monter, inspecteur ?

- Oui, monsieur."

La réponse fusa, sèche et brutale.

Javert avait appris à monter au bagne. Tout le monde oubliait qu'il avait été un adjudant dans les garde-chiourmes du midi.

Gageons qu'il allait leur montrer ses capacités d'ici peu.

Un bel étalon. Entier ! Un Navarrin qui n'aurait pas dépareillé dans la Grande Armée. Nerveux et athlétique.

Javert le choisit en conséquence de cause, sachant ce qu'il voulait en faire.

Le gendarme qui l'accompagna aux écuries le prévint, la voix méprisante :

" Il est nerveux et vicieux. Personne ne le monte, le capitaine parle même de s'en débarrasser ! Vous devriez prendre une autre bête, inspecteur."

Le dédain était si vif mais Javert ne le releva pas.

Il sortit la bête de sa stalle, elle piaffait déjà et renâclait, prête à ruer.

Il apprécia d'autant plus la perversion.

" Nous sommes faits pour nous entendre."

L'étalon se cabra et le gendarme se recula prudemment. Javert maintint la bride d'une main ferme.

" Il s'appelle Gymont, annonça le gendarme, vexé d'avoir eu un mouvement de peur devant le policier.

- Et moi Javert."

Et l'inspecteur se mit à rire tandis que l'animal poussait son hennissement de défi.

Ils formaient une belle peinture.

L'homme en uniforme de police, chapeau sur la tête et sabre au côté, assis, le dos bien droit, sur un étalon de couleur sombre. Robe noire et crins clairs.

Une belle peinture.

Au premier abord.

Car après, on se reculait devant la vigueur du cheval. Tenu de main de maître, il s'efforçait de se révolter.

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