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L'air est immobile. Tout est calme. Je peux respirer sans que le vent essaie de me voler mon air. Il flotte une odeur stérile d'antiseptique.

-Non, dis-je, ou m'efforcé-je de dire.

Je n'arrive pas à ouvrir les yeux.

Des est ici. Je sens sa présence.

Le métal froid de son scalpel. Il va m'ouvrir en deux.

Un liquide chaud court dans mes veines. J'entends mon coeur qui bat, ainsi que des "bip" insistants.

Il me demande si je peux ouvrir les yeux.

Mais c'est l'odeur du thé qui me réveille tout à fait. Même si mon instinct me crie le contraire, j'ai l'impression que Zayn est là et qu'il vient me réveiller pour mon tour de garde avec une tasse de thé.

Mais ce sont les yeux verts avides de Harry que j'aperçois. Ses lèvres sont rouge vif, écorchées, sanguinolentes. D'étrange plaques violettes forment des arrondis sur son visage et sa gorge. Il tient ma main dans la sienne, et quand il serre, ça me fait mal.

-Dieu soit loué, fait-il, s'approchant de moi. Tu es réveillée.

Je vomis et suis encore en train de hoqueter quand tout redevient noir.


Je rouvre les yeux au bout de très, très nombreuses années. Le vent hurle toujours comme un damné. Il martèle la fenêtre de ma chambre, tentant de la fracasser, de m'emporter au loin. Je cherche la lueur du phare, sans la trouver.

Harry dort à coté de moi, la tête posée sur le même oreiller que moi. Je comprend que c'est sa respiration contre mon oreille que j'ai prise pour le vent qui se déchaînait dans mes cauchemars.

Elle est légèrement sifflante.

Alors que je refais surface, allongée, je me rends compte qu'il ne s'est pas passé des années. Son visage, bien constellé de bleus, est toujours lisse et jeune; je porte encore son alliance, et je me retrouve dans ce manoir plusieurs fois centenaire qui refuse obstinément de s'envoler.

Mais je remarque aussi quelques nouveautés étranges. J'ai une aiguille enfoncée dans l'avant-bras, reliée à une poche contenant un fluide, suspendue à un portant métallique. Un moniteur affiche mon rythme cardiaque. Calme, méthodique. J'essaie de m'asseoir, mais une vive douleur irradie de chacune de mes côtes, une par une, comme un xylophone que l'on briserait en frappant ses lattes. J'ai une jambe surélevée dans une sorte de glissière.

Me sentant m'agiter, Harry bredouille quelque chose avant de s'éveiller. Je ferme aussitôt les yeux, jouant la belle endormie. Je ne veux pas le voir. La perspective de le revoir jour après jour jusqu'à mon dernier souffle est déjà assez pénible comme ça.

Car, quoi que je fasse, où que j'aille, je reviendrai toujours à mon point de départ.

Dès que je ne peux plus feindre d'être comateuse, les visiteurs se succèdent dans ma chambre en un flot constant. Harry est toujours près de moi, à redresser mon oreiller, dessiner ou me faire la lecture. Je trouve une ironie troublante à Frankenstein. Deirdre, Jenna et Cecily ont le droit à quelques secondes avant d'être reconduites par Harry, qui leur explique que j'ai besoin de repos. Maître Des, le docteur, le beau-père inquiet, dresse la liste de mes fractures, foulures et autres fêlures.

-Tu n'as pas ménagé tes efforts pour t'esquinter, très chère, mais tu es entre de bonnes mains.

Dans mes rêves déformés par les médicaments, il se mue en serpent qui parle. Il m'explique que ma cheville gauche ne pourra pas me porter pendant deux semaines, et que respirer sera douloureux pendant quelque temps. Je m'en moque. Cela n'a aucune importance. J'ai toute une vie d'agonie devant moi pour me rétablir, étendue dans cette horrible chambre.

J'ai perdu toute notion du temps; je reste clouée au lit pendant une durée indéterminée.

Je perds connaissance puis reviens à moi, trouvant une situation différentes chaque fois que je rouvre les yeux. Harry me faisant la lecture. Mes soeurs épouses tassées dans l'embrasure de la porte, déplorant mon triste état; je les dévisage alors, jusqu'à ce que toute trace de sollicitude disparaisse de leurs traits. Et, pour couronner le tout, j'ai mal partout en dépit d'une hébétude constante.

-Il faut bien l'avouer, un ouragan, c'est plus extrême qu'un conduit de ventilation, entends-je Des dire au-dessus de moi.

Je lutte pour ouvrir les yeux, mais je ne distingue qu'une flaque de couleur. La tache sombre de ses cheveux lissés en arrière. Quelque chose de chaud afflue dans mes veines, et je frissonne de soulagement en sentant la douleur s'estomper dans mes côtes.

-Sais-tu que c'est ainsi que ta défunte soeur épouse avait procédé? Par les conduits de ventilation! Elle avait rampé jusqu'à l'entrée dan ce fichu conduit avant de se faire pincer. Quelle petite fille pleine de ressources c'était; elle n'avait alors que onze ans.

Rose...Le mot ne franchit pas mes lèvres.

Je sens les mains parcheminées de Des courir sur mon front, mais je n'arrive plus à ouvrir les yeux. Son souffle chaud ricoche dans mon oreille, et avec lui ses parole rebondissent.

-Evidemment, on ne pouvait pas lui en vouloir; c'est ainsi qu'elle avait été élevée. Ses parents étaient des collègues à moi, des chirurgiens autrefois très respectés, soit dit en passant. Mais ils avaient perdu la tête. Ils erraient d'Etat en Etat, colportant l'idée saugrenue selon laquelle, si nous étions incapable de mettre au point un antidote, il devait bien y avoir un pays ayant survécu à l'holocauste, quelque part dans ce désert liquide, qui pourrait nous venir en aide. Ils l'ont abreuvée de connaissances sur ces pays détruits, comme si cela allait servir à quoi que ce soit.

Une autre vague de chaleur dans mon sang. L'hébétude narcotique s'intensifie. Que m'a-t-il injecté?

Puisant dans mes maigres forces pour ouvrir les yeux, je parviens à soulever les paupières. Je vois double, mais la pièce ce matérialise suffisamment pour que je constate que Harry n'est pas là, et que mes soeurs épouses ne sont pas davantage sur le palier.

-Chut, tout va bien, susurre Des, abaissant mes paupières à l'aide du pouce et de l'index. Ecoute ma berceuse. Hélas, elle ne finit pas bien, j'en ai peur. Ils l'emmenait partout où ils allaient répandre leurs billevesées. Et sais-tu ce qui leur est arrivé? Le coup de la voiture piégée, une bombe dans un parking. C'est ainsi qu'elle est devenue orpheline. Nous vivons dans un monde dangereux, n'es-ce pas?


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Petite apparition du passé de Rose.

Que pensez-vous de Des?

Merci d'avoir lu!


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Réécriture @MorganeBie

Éphémère (H.S)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant