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Quand Cecily termine de jouer sa chanson et que l'illusion s'en retourne dans le synthé, elle tend les bras au-dessus de sa tête et fait craquer ses jointures.

— C'était magnifique, ma chérie, décrète Harry.

Il est assis sur le canapé, un bras autour de moi. Jenna est pelotonnée sur l'accoudoir, et l'autre main de notre époux court négligemment sur sa cuisse.

— C'est une vraie petite concertiste que nous avons là, ajoute Jenna en jouant avec une boucle de cheveux de Harry.

— Concertiste, peut-être pas, intervient Cecily en replaçant la housse du clavier.

— Très juste, lancé-je. C'est trop froid, une salle de concert. Ne m'as-tu pas dit que tu avais écrit cette chanson dans la roseraie ?

— Le labyrinthe, me corrige Jenna.

— Vous vous trompez toutes les deux, rectifie Cecily en s'asseyant sur les genoux de Harry. Je l'ai écrite dans l'orangeraie.

— Tu as composé ça toute seule ? demande Harry, surpris.

Jenna joue toujours avec ses cheveux, et il se penche distraitement vers elle.

— Oui. Dans ma tête. Je l'ai mémorisé, pour plus tard. Mais...

Sa voix se perd. Elle a le regard vide, laisse échapper un soupir de tristesse.

— Qu'y a-t-il, ma chérie? demande Harry.

— Eh bien... ça sonne comme une vieille chanson, répond Cecily. Ça fait bien longtemps que je ne suis pas sortie.

— Comme nous tous, Cecily, dis-je. Il n'y a pas que toi. C'est trop dangereux dehors, avec ces ouragans. Tu as vu à quel point j'ai souffert. Je suis à peine remise.

— Mais il n'y a pas eu d'ouragan depuis des semaines, réplique Jenna. Il fait même assez beau. Tu n'es pas d'accord ?

Elle a les yeux rivés sur Harry, qui rougit passablement. L'amour de trois femmes à la fois, c'est un peu trop pour lui.

— Je... je suppose, oui.

— Mais maître Des ne fait qu'assurer notre sécurité, insisté-je. C'est pour ça qu'il nous fournit une escorte quand on sort.

— Il vous fait suivre partout ? s'étonne Harry.

— Oui, et c'est un peu déprimant, admet Jenna. Nous adorons notre beau-père, évidemment, vous le savez bien. Mais de temps à autre, une fille ressent le besoin d'être seule.

— Pour stimuler sa créativité, dit Cecily.

— Pour réfléchir, ajouté-je.

— Et pour bavarder entre filles, poursuit Jenna. Rhine et moi, cela fait des lustres qu'on n'a pas fait une partie de tennis ou joué sur le trampoline. Les jeux virtuels, c'est très bien, mais on manque d'exercice, on n'en fait plus du tout.

— Je comptais garder ça pour moi, renchérit Cecily, mais ces deux-là commencent à prendre du poids.

Jenna plisse les yeux.

— Ça te va bien de dire ça.

Harry a déjà les joues en feu, mais quand Cecily prend son visage entre ses mains, l'embrasse et lui demande si la grossesse l'enlaidit, il vire à l'écarlate.

— Tu... tu es superbe, dit-il. Vous êtes toutes superbes. Mais si vous pensez avoir besoin de prendre l'air, j'en parlerai à mon père. Je ne me rendais pas compte que vous... étouffiez.

— C'est vrai ? s'écrie Cecily.

— Ce n'est pas une blague ? dis-je en me lovant contre lui.

Éphémère (H.S)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant