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Nous attendons, encore et encore. J'ai envie de détourner le regard, et Harry aussi, de ce nouveau-né sanglant et inerte que tient l'un des assistants, mais nous sommes pétrifiés. Tout le monde se fige. Jenna, sur le divan. Cecily, qui nous écrase les mains. Le personnel, qui me fait penser à du bétail assoupi.

J'ai à peine le temps de penser que Des va laisser ce bébé mourir, comme il a laissé mourir sa première petite-fille, qu'il entre en action. Il se saisit du nouveau-né et lui colle dans la bouche une sorte de pipette géante. Une seconde plus tard, la chambre retentit d'un cri aigu, et le bébé commence à s'agiter. Cecily expire bruyamment.

— Félicitations ! s'exclame Des en tenant le nouveau-né qui se tortille dans ses mains gantées. Vous avez un fils.

Tout à coup, la chambre reprend vie et mille bruits fusent. Le bébé, qui crie toujours, est emmené pour être lavé et inspecté. Harry tient le visage de Cecily tout près du sien ; ils discutent à voix basse et à toute allure, s'embrassent entre chaque phrase.

Je m'écroule au côté de Jenna sur le divan, et nous nous enlaçons. Je lui murmure:

— Dieu soit loué, c'est fini.

— Peut-être pas, répond Jenna.

Nous regardons le personnel prendre soin de Cecily, qui a expulsé le placenta et saigne toujours, trop pâle pour que je sois pleinement rassurée. On la transfère sur un chariot à roulettes, je me porte aussitôt près d'elle. Cette fois, c'est moi qui m'agrippe à elle, et non le contraire.

— Je pars avec elle.

— Partir ? fait Des en riant. Mais elle ne va nulle part. Il faut juste qu'on nettoie un peu ce chantier.

Déjà, le personnel s'affaire à changer les draps. Des surveille l'opération et intervient.

— Non, ça ne va pas. Il faut aussi changer le matelas, il est fichu.

— Où est mon bébé ? couine faiblement Cecily.

Elle a les yeux vitreux, distants. Son visage est strié de larmes et de sueur mêlées. Sa respiration est sifflante.

— Nous le reverrons très bientôt, mon amour, lui assure Harry en l'embrassant.

À cet instant, elle n'a plus rien d'une toute jeune fille. Si je ne les connaissais pas, j'aurais tout lieu de croire qu'il s'agit de parents normaux dans une clinique normale, et dans des circonstances normales.

Mais il n'y a plus rien de normal en ce bas monde. Toute normalité a été détruite il y a bien longtemps, à l'image du laboratoire de recherche dans lequel se trouvaient mes parents.

Cecily a l'air si faible, tellement à bout de forces, avec son visage crayeux, que mon inquiétude refait surface. Et si elle perd trop de sang ? Ou si elle contracte une infection ? Accoucher en étant si frêle, si menue, ne risque-t-il pas d'engendrer des complications ? J'aimerais que Des la fasse conduire à l'hôpital, quand bien même ce serait la clinique qu'il dirige en ville. Un lieu brillamment éclairé, avec plein d'autres médecins.

Je n'exprime rien de tout cela à voix haute. Je sais que ce serait inutile : Des ne nous laisse jamais sortir d'ici, et le simple fait de le suggérer pourrait même effrayer Cecily. Je dégage son visage luisant des mèches qui y sont collées et lui dis simplement :

— Il faut te reposer, maintenant ; tu l'as bien mérité, mon amour, glisse Harry en écho.

Il lui embrasse la main et la presse contre sa joue.

Un sourire imperceptible s'imprime sur ses lèvres avant quelle sombre dans l'inconscience.

Cette nuit-là, Cecily dort profondément, et sans ronfler. Repensant à mon face-à-face avec Des après l'ouragan, quand j'étais trop faible pour me défendre, je me rends fréquemment à son chevet. Elle bouge à peine, et je suis soulagée de trouver Harry à son côté, fidèle au poste.

Éphémère (H.S)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant