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La colère monte en moi, et avec elle la douleur dans mes os. Elle essaie de me pousser à bout, mais je fais mon possible pour rester de marbre. Il le faut. Car si je lâche la vérité maintenant, je resterai prisonnière à vie. Pas question de la laisser aller à cette exposition à ma place, ni à aucune fête par la suite : c'est à moi d'y aller. C'est ma seule chance de montrer à mon frère que je suis en vie, de trouver un moyen de filer d'ici. Je le mérite. Pas elle.

Elle a les yeux écarquillés, inondés de larmes. Ses sanglots humides sont ponctués de hoquets, et Harry la prend dans ses bras. II étreint son petit corps gonflé et la fait sortir. Je l'entends gémir tout le long du couloir.

Assise dans mon lit, hors de moi, je contemple les lis qu'elle m'a apportés quelques jours auparavant. Ils commencent à se faner. Des pétales gisent au pied du vase, chiffonnés comme des bouts de mouchoirs en papier. J'ai l'impression de regarder un joli cadavre dans le blanc des yeux.
Les bonnes intentions de Cecily ne durent jamais bien longtemps.

Quand nous sommes ensemble, Niall et moi nous montrons d'une extrême prudence. Je pourrais passer toute une matinée à penser à notre unique baiser, et quand il m'apporte mon déjeuner, tout ce que nous faisons, c'est parler météo. Il m'annonce que les jours fraîchissent, et que selon lui, il pourrait bientôt neiger.

— As-tu apporté son repas à Cecily ? demandé-je alors qu'il dispose le plateau sur mes genoux.

Le fait que je reste clouée au lit limite les occasions de nous voir. Je ne peux pas l'accompagner quand il repart travailler, ou passer un moment avec lui au jardin.

— Oui, marmonne-t-il. Elle m'a jeté un saucier à la tête.

— Pas possible, dis-je en riant malgré moi.

— Elle voulait ses pommes de terre frites, et non bouillies ; Elle vise drôlement bien, pour quelqu'un dans son état.

Le ton ironique de la dernière phrase ne m'a pas échappé. Nous savons tous que Cecily n'a rien de la petite chose fragile que décrivent Harry et Des.

— Elle est d'une humeur charmante, poursuit-il.

— C'est en partie ma faute. Hier soir, Harry ma annoncé qu'il comptait m'emmener à un genre de fête pour ses dessins d'architecture, et elle a très mal pris qu'il ne lui propose pas, à elle.

Il grimace et s'assoit sur le rebord du lit.

— Vous vous intéressez aux inaugurations ?

— Niall, soufflé-je, c'est peut-être ma seule porte de sortie.

II m'observe un long moment, sans que je parvienne à lire ses pensées puis baisse les yeux.

— C'est sûrement mieux que votre dernier plan d'évasion, non ?

— Je ne dirai pas le contraire, avec mes quatre plâtres.

— C'est vraiment si terrible de vivre ici ? (La panique se lit dans ses yeux.) Est-ce que le gouverneur domanial vous oblige... vous savez... à faire des choses au lit ?

Ses joues virent à l'écarlate.

— Non ! répliqué-je en tendant le bras pour poser ma main sur la sienne. Ce n'est pas le problème, Niall, mais je ne compte pas passer toute ma vie ici.

Éphémère (H.S)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant