Une fois Deirdre partie, j'ouvre la porte en grand et m'avance jusqu'au seuil. Je sens d'ici les effluves des médicaments dont Rose se plaignait hier. J'aperçois l'assortiment de lotions, de boîtes à pilules et de bouteilles sur la table de nuit.
Aujourd'hui, elle est assise dans un divan tendu de satin, près de la fenêtre. Ses cheveux noirs sont baignés de soleil, et sa peau semble moins jaune. Elle a repris des couleurs, et au début, je pense qu'elle se sent mieux; mais quand elle me fait signe d'approcher, je remarque le rose excessif de ses joues et soupçonne qu'il s'agit de maquillage. Le rouge de ses lèvres doit lui être aussi factice. Ses yeux bruns, en revanche, ne doivent rien a un quelconque artifices: ils me dévisagent avec une intensité incroyable, pleine de jeunesse. J'essaie de m'imaginer un monde d'humains «naturels», quand on était jeune à vingt ans, quand la mort était loin.
D'après ma mère, les humains naturels vivaient alors jusqu'à quatre-vingt ans. Parfois cent. Je n'y ai pas cru.
Je comprend mieux, aujourd'hui. Rose est la première jeune femme de vingt ans à laquelle j'ai affaire, et bien qu'elle étouffe un toussotement qui macule son poing de sang, sa peau est encore souple et lisse. Son visage est lumineux. Elle ne semble pas très differente, ni beaucoup plus âgée que moi.
-Assieds-toi, dit-elle.
Je choisis une chaise face à elle. À ses pieds, le sol est jonché de papiers de bonbons, et je vois la réserve dont elle dispose, dans un bol posé sur le divan. Quand elle parle, je remarque que sa langue est d'un bleu écarlate. Elle manipule une autre sucrerie entre ses longs doigts, l'approche de son visage, comme si elle allait l'embrasser. Puis elle la laisse tomber dans le bol.
-D'où viens-tu? Demande-t-elle.
Dans sa voix, il n'y a rien de la mauvaise humeur dont elle a fait preuve envers Deirdre. Ses cils fournis papillonnent. Elle suit des yeux un insecte qui tournait auprès d'elle avant de disparaître.
Je ne veux pas lui dire d'où je viens. Je suis censée rester assise poliment, mais comment faire? Comment faire, alors qu'on m'oblige à la regarder mourrir avant de me donner en pâture son mari, lequel le fera des enfants dont je n'ai jamais voulu? Je lui répond:
-Et vous, d'où étiez vous quand ils vous ont enlevée?
Je ne suis pas censée lui poser de questions, et je comprends aussitôt que j'ai marché sur une mine. Qu'elle va se mettre à hurler, à appeler Deirdre ou son mari , le gouverneur domanial, pour qu'on m'emmène. Et qu'on l'enferme dans un cachot pour les quartes prochaines années. À ma grande surprise, elle se contente de répondre.
-Je suis née dans cet État. Et même dans cette ville.
Elle se retourne, saisit une photo accrochée au mur et me la tend. Je me penche pour y jeter un coup d'œil.
La photo représente une toute jeune fille à côté d'un cheval.
Elle en tient les rênes, et son sourire est si éclatant qu'il lui mange le visage. Le plaisir est évident qu'elle éprouve lui fait presque fermer les yeux. À ses côtés, un garçons beaucoup plus grand qu'elle, les mains dans le dos. Son sourire est plus maîtrisé, timide, comme s'il avait l'intention de rester impassible mais n'avait pas pu se retenir sur le moment.-C'est moi, dit Rose en désignant la fille sur la photo.
Puis posant le doigt sur la silouhette du garçon:
-Et lui, c'est mon Harry.
Pendant un instant, elle paraît perdue dans ses pensées. Un petit sourire illumine ses lèvres peintes.
-Nous avons grandi ensemble.
Je ne sais pas quoi répondre. Elle semble accaparée par ce souvenir, et aveugle de mon emprisonnement. Mais je me sens quand même désolée pour elle. En d'autres temps, dans d'autres circonstences, elle n'aurait pas eut besoin de remplaçante.
VOUS LISEZ
Éphémère (H.S)
FanfictionL'humanité croyait son avenir assuré. La science avait créé des enfants parfaits, immunisés contre toutes les maladies. Mais qui pouvait imaginer l'en prix à payer? Car désormais, personne ne survit au delà de 25 ans. Le monde a changé. Pour les jeu...