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Une bombe.

J'ai entendu des explosions à Manhattan, un "boum" lointain, indiquant que des gens venaient de mourir. C'est un souvenir que je n'ai pas du tout envie de revivre, aussi tenté-je instinctivement de bouger, mais ce qui ce qui court dans mes veines rend tout mouvement impossible.

-Il y a des gens qui ne veulent pas d'un antidote. Des gens qui pensent que notre monde touche à sa fin, et qu'il est préférable de laisser la race humaine s'éteindre. Qui sont prêts à tuer ceux qui tentent de la sauver.

J'en sais quelque chose! Mes parents ont reçu d'innombrables menaces de mort parce qu'ils travaillaient dans un labo. Deux factions sont en guerre ouverte: les pro-sciences, qui privilégient la recherche génétique et la quête d'un antidote, et les pro-natures, convaincus qu'il est trop tard' que le fait d'engendrer des enfants pour qu'ils servent de cobayes va à l'encontre de toute éthique. En résumé: qu'il est dans l'ordre des choses de laisser l'humanité disparaître.

-Mais tu as tiré le bon numéro, pursuit Des. Tu es en sécurité ici. Ce serait une folie de risquer de perdre tout ce que tu as. Tu es bien plus spéciale que tu ne le penses; si Harry venait à te perdre, il perdrait aussi la tête. Ce que tu ne désires certainement pas.

Soudain, je comprend pourquoi Rose s'est efforcée de me dissuader de fuir. Il ne s'agissait pas uniquement de tenir compagnie à Harry après sa mort. Elle a voulu me prévenir, m'épargner la punition qu'elle a subie après sa propre tentative d'évasion. C'est Rose, et non Des, qui susurre ces dernières paroles à mon oreille.

-Si tu tiens à la vie, n'essaye plus de t'évader.

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Harry semble à mille lieues de penser que j'ai subi toutes ces blessures en tentant de fuir.

-Je lui ai raconté que tu étais au jardin quand l'orage est arrivé, me glisse Jenna un après-midi, alors que Harry est accroupi à mon côté, ses bras formant un barrage protecteur autour de moi. Mais je t'ai vue passer par la fenêtre. Qu'est-ce qui t'a pris?

-Je n'en sais rien. Quoi qu'il soit, j'ai échoué.

On dirait qu'elle a envie de me serrer dans ses bras, ce qui n'est guère envisageable : j'ai mal partout, et honte d'offrir un tel spectacle.

-Et il t'a crue? demandé-je.

-Le gouverneur Harry m'a crue, malgré ta fenêtre cassée. Maître Des, c'est moins sûr. Aux cuisines, tous les domestiques ont affirmé t'avoir vue dans le jardin avant que l'ouragan se déchaîne, avoir assisté à tes efforts pour revenir à l'intérieur quand tu as entendu l'alarme. Il est possible que ça l'ait convaincu.

-Ils ont fait ça?

Elle sourit un peu, repousse une mèche de cheveux derrière mon oreille.

-Je pense qu'ils t'aiment bien. Surtout Niall.

Niall! Ses yeux bleus qui scrutent le chaos environnant. Ses bras qui s'ouvrent. Je me rappelle m'être écrasée sur lui. Je me remémore ce sentiment de sécurité, avant que le monde disparaisse dans l'oubli.

-Il est venu me chercher, dis-je.

-Tout le monde te cherchait, précise-t-elle. Même le gouverneur Harry. Il n'a pas été épargné par les chutes de branches.

Harry. Meurtri, assoupi à côté de moi. Un filet de sang perle au coin de sa bouche. Je l'essuie avec un doigt.

-Je t'ai crue mort, reprend-elle. Quand Niall ta portée jusqu'aux cuisines, tu semblais ne plus avoir un seul os d'intact.

-C'était à peu près ça, confirmé-je.

-Cecily hurlait à pleins poumons, et il a fallu trois domestiques pour le reconduire dans sa chambre. Des lui a dit qu'elle risquait de faire une fausse couche à s'agiter comme ça. Mais tout va bien, je te rassure. Tu la connais.

Éphémère (H.S)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant