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-J'ai envie de jouer à un jeu, lance Cecily.

Jenna reste son nez dans son livre. Elle est mollement étendue sur le canapé,les jambes pendant par-dessus l'accoudoir.

-Ce n'est pas ce qui manque, dit-elle.

-Je ne parle pas du synthétiseur ou du ski virtuel, insiste Cecily. Je veux parler d'un vrai jeu.

Elle quémande mon aide du regard, mais le seul jeu que je connaisse est celui auquel je jouais avec mon frère, et qui consiste à poser le piège à bruit dans la cuisine afin d'essayer de survivre à la nuit. Et vu que j'ai été capturée par les Ramasseurs, on peut considérer que j'ai perdu.

Assise en tailleur sur le rebord de la fenêtre du salon, pièce remplie de jeux de sports virtuels et où trône le synthétiseur conçu pour imiter un orchestre symphonique, je contemple depuis un moment les orangers, dont les fleurs tressaillent comme des milliers de minuscules oiseaux blancs. Zayn jugerait cela incroyable, toute cette nature pleine de vie, toute cette beauté. Dans Manhattan, on ne trouve que de mauvaises herbes chétives crevant l'asphalte.
À vendre, il n'y a que des œillets qui sentent le renfermé, et qui tiennent plus du bricolage scientifique que de la vraie fleur.

-Tu ne connais pas de jeu? Me demande franchement Cecily.

Je sens ses yeux marrons posés sur moi. Ma foi, j'ai bien joué à un jeu avec ma petite voisine,le téléphone fait avec une ficelle et des pots de yaourt. J'ouvre la bouche pour en parler puis me ravise. Pas question de chuchoter mes secrets dans un pot de yaourt à mes sœurs épouses. D'ailleurs, je n'ai qu'un seul véritable secret, et c'est mon projet d'évasion.

-On pourrait faire de la pêche virtuelle, dis-je, sentant l'indignation de Cecily sans même avoir à la regarder.

-Il doit bien y avoir quelque chose de réel à faire, marmonne-t-elle. Forcément.

Elle quitte le salon, et je l'entends traîner les pieds dans le couloir.

-Pauvre petite, dit Jenna en posant son regard sur moi un instant avant de retourner à sa lecture. Elle n'a toujours pas compris dans quel genre d'endroit on se trouve.

Cela se passe à midi. Niall m'apporte mon déjeuner à la bibliothèque, qui est devenue mon endroit préféré, et s'arrête pour regarder par dessus mon épaule quand il aperçoit un dessin de bateau sur la plage.

-Que lisez-vous?

-Un livre d'histoire. Au sujet de cet explorateur qui a prouvé que la Terre était ronde en formant un équipage, et en faisant le tour du monde avec trois bateaux.

-La Niña, la Pinta et la Santa María.

-Vous aimez l'histoire?

-J'aime les bateaux, répond il en s'asseyant derrière moi sur le bras du fauteuil rembourré et en désignant l'image. Ça, c'est une caravelle.

Il commence alors à me décrire la structure: les trois mats, les voiles latines; tout ce que je retiens, c'est qu'il s'agit d'un navire de type espagnol. Mais je me garde de l'interrompre.
J'ai remarqué l'intensité qui habite ses yeux bleus: il profite d'un cours répit dans sa routine monotone, qui consiste à cuisiner pour les épouses d'Harry et à les servir, et il éprouve de la passion pour quelque chose.

Assis comme il l'est, il projette son ombre sur moi; je sens qu'il est sur la point de sourire pour de bon. C'est le moment qu'Ellie, la domestique de Cecily, arrive en trombe.

-Ah, te voilà! crie-y-elle à Niall. Fonce aux cuisines, et apporte à Lady Rose quelque chose pour calmer sa toux.

Effectivement, je l'entends tousser, tout au bout du couloir.
C'est un bruit de fond tellement habituel à l'étage que je n'y fais pas toujours attention. Niall se relevant prestement, je referme mon livre et fais mine de le suivre.

Éphémère (H.S)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant