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Les soirs suivants, Harry nous invite toutes les trois à dîner avec lui. Et la plupart du temps, il passe la nuit dans mon lit. Nous ne faisons que discuter et dormir. Allongé sous les couvertures, il me regarde enduire mes mains de crème, me brosser les cheveux, fermer les rideaux et siroter mon thé du soir. Sa présence ne me gêne pas trop. Je sais que ce serait beaucoup demander à Jenna, et je préfère qu'il laisse Cecily tranquille ; elle lui permettrait de faire n'importe quoi, et sa soudaine fragilité, le lendemain de la fête, m'a beaucoup inquiétée. Je la sais jalouse, maintenant que c'est moi qu'il vient voir, mais j'estime que cela ne la regarde en rien, et je ne réponds à aucune de ses questions. Cela dit, nous ne nous touchons jamais, sauf quelquefois, lorsque je sens ses doigts caresser mes cheveux, envoyant des vaguelettes rider la surface de mes rêves.

Il me parle jusqu'à ce que je succombe à la fatigue. Niall commence à m'apporter mon petit déjeuner à la même heure que pour les autres épouses, et il prévoit un supplément pour Harry, qui demande des choses imprévisibles : par exemple une tasse de sirop d'érable, ou du raisin, qu'il mange en tenant la grappe au-dessus de sa bouche. Niall ne dissimule plus de June Beans à mon intention, ce qui me manque. Lui parler me manque. Nous n'avons guère l'occasion ne serait-ce que d'échanger un regard, Harry m'emmenant en balade pendant la journée.

Quand il fait chaud, il nous conduit toutes les trois à la piscine. Jenna prend le soleil, Cecily fait des cabrioles sur le tremplin en poussant des cris de joie, symbole d'une enfance et d'une liberté qu'elle a perdues à jamais. Je passe beaucoup de temps sous l'eau, où un dispositif diffuse des hologrammes de méduses et de fonds marins. Des requins se ruent sur moi puis me traversent, laissant la place à des bancs de poissons jaune vif ou orange, à des baleines aussi grandes que le bassin. J'oublie parfois que rien de tout cela n'est réel, m'enfonce de plus en plus à la recherche de l'Atlantide... pour buter contre le fond de la piscine.

Cela constitue l'essentiel de certaines journées. Et ce n'est pas si mal. J'ai l'impression d'être libre. D'avoir des sœurs. Même Jenna trempe parfois un pied dans l'eau, en profitant pour m'asperger. Un après-midi, Cecily et moi convenons en cachette de la saisir chacune par un coude pour la jeter à l'eau. Jenna pousse des cris indignés, s'accroche au rebord en jurant que nous sommes horribles, qu'elle nous déteste. Mais au bout du compte, elle y prend goût. Nous plongeons ensemble, nous tenant la main, tâchant d'attraper des guppys holographiques.

Harry ne se baigne pas, mais il nous demande parfois si nous nous amusons avec les hologrammes. Il est pâle et efflanqué dans son maillot de bain. Il lit des magazines d'architecture, assis sur un drap de bain humide, ce que j'interprète comme le signe qu'il est prêt à se remettre au travail. Peut-être commencera-t-il à sortir de la propriété. Peut-être ira-t-il à une fête. Avec moi à son bras. Je sais qu'il va falloir planifier avec soin mon évasion, et que disparaître dans la foule ne sera certainement pas d'actualité lors de la première sortie. Mais il y a des chances que la soirée soit retransmise à la télévision. Zayn pourrait me voir, et apprendre ainsi que je suis en vie.

Un après-midi, alors que je rentre en courant pour récupérer une serviette sèche dans le placard près de l'entrée, je manque de percuter Niall, qui apporte un plateau de jus d'orange servi dans des verres à pied.

- Désolée.

- Vous vous amusez bien, on dirait, fait-il sans réellement croiser mon regard. Veuillez m'excuser.

Il manœuvre pour me contourner.

- Attendez.

Je jette un coup d'œil par-dessus mon épaule pour être sûre que personne, parmi ceux et celles qui paressent au soleil ou s'ébattent dans la piscine, derrière la porte vitrée, ne nous regarde. Niall se retourne et me fait face.

- Vous êtes fâché contre moi ?

- Non. Je croyais que vous n'aviez plus le temps de parler à Un domestique, c'est tout.

Je n'aime pas la noirceur que je vois dans ses yeux d'ordinaire si doux.

-Maintenant que vous êtes la femme d'un gouverneur domanial.

- Eh ! une minute, balbutié-je.

- Il n'y a rien à expliquer, Lady Rhine.

En théorie, le personnel est censé m'appeler ainsi, mais cela ne doit pas coller avec ma personnalité, car, dans le manoir, tout le monde m'appelle toujours Rhine. Ou Métisse. Cela dit, Niall a raison, je n'ai pas eu l'occasion de parler à quiconque hormis mes sœurs épouses et Harry depuis plusieurs jours. Je regrette de ne plus m'asseoir sur un plan de travail des cuisines, à bavarder avec les cuistots ; de ne plus discuter avec Niall. Je regrette aussi les June Beans, d'autant plus que ma réserve dans ma table de nuit s'épuise. Mais ce sont des choses dont je ne peux pas parler en présence de Harry ou de maître Des, et je ne croise plus jamais Niall sans que l'un ou l'autre soit dans les parages.

- Qu'y a-t-il ? Qu'ai-je fait ?

- Eh bien, je ne m'attendais pas que vous succombiez si facilement au gouverneur.

L'idée est tellement absurde que j'éclate de rire, m'étouffant sur le mot :

- Quoi ?

- Je vis dans cette maison, vous savez. Je vous apporte votre petit déjeuner tous les matins.

Il n'a rien compris, rien compris du tout. Et cela me blesse tellement que j'abandonne toute intention de le détromper.

- Vous ne vous attendiez pas que je dorme avec mon mari ?

- Effectivement.

Sur ce, il ouvre la porte coulissante et s'avance dans le soleil, me laissant en plan, trempée, claquant des dents, à m'interroge sur ce que cet endroit m'a fait devenir.

Je reste silencieuse lors du dîner. Harry me demande s'il y a un problème avec la nourriture, et j'attends que Niall ait fini de remplir mon verre d'eau gazeuse avant de faire «non» de la tête. J'ai très envie de prendre Niall à part et de lui parler. Je veux lui expliquer qu'il se trompe, à propos d'Harry et moi. Mais maître Des est à table avec nous, et sa présence me fait baisser la tête.

Dans l'ascenseur, après le repas, Niall nous reconduit jusqu'à notre étage. J'essaie de croiser son regard, mais il semble m'éviter délibérément.

Cecily, debout à côté de moi, se masse les tempes.

- Pourquoi est-ce que ces lumières sont si fortes ?

Les portes s'ouvrent. Jenna et moi sortons de la cabine, mais Cecily ne bouge pas.

- Qu'y a-t-il ? demandé-je.

C'est alors que je remarque sa pâleur extrême. Son visage est brillant de sueur.

- Je ne me sens pas bien.

Au moment où elle finit sa phrase, elle tourne de l'œil, et Niall a tout juste le temps de la rattraper avant qu'elle s'effondre, tel un pantin désarticulé.

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Double chapitre!!! J'espère que vous aimez toujours l'histoire :)
J'essayerais de poster pendant les vacances mais je ne sais pas quand car je pars Samedi et reviens Jeudi prochain :3
Sur ce, je vous remercie de tous ces votes et des 3300 lectures!!! J'espère aussi poster avant de partir !!!

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Réécriture ©MorganeBie

Éphémère (H.S)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant