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Alors que la soirée avance et que les invités commencent à partir, Jenna et moi nous asseyons dans l'herbe, Adair et Deirdre s'occupant d'ôter les brins d'herbe coincés dans nos cheveux. Harry et Cecily ont disparu, et ils n'ont toujours pas refait surface quand nous allons nous coucher bien plus tard.

Le lendemain, Cecily débarque à la bibliothèque un peu après midi, pâle et hébétée. Elle arbore un sourire hagard et figé, et ses cheveux sont en pétard. On dirait un feu de brousse jonché de cadavres.

Niall apporte le thé, et elle y verse trop de sucre, comme d'habitude. Elle ne nous parle pas. Son visage est strié de marques d'oreiller, et elle grimace chaque fois qu'elle bouge les jambes.

- Belle journée, lâche-t-elle enfin.

J'ai depuis longtemps rejoint mon fauteuil capitonné, et Jenna arpente les allées.

Cecily n'a pas l'air bien. Pas bien du tout. Sa verve ordinaire semble éteinte, et sa voix se perd comme un courant d'air. On croirait voir un oiseau sauvage qu'on a mis en cage, et qui constate sa captivité avec une telle stupeur que cet enfermement ne lui pèse pas tellement.

- Ça va ? lui demandé-je.

- Oh que oui ! dit-elle.

Elle dodeline de la tête puis la pose lentement sur la table Depuis l'autre bout de la pièce, Jenna me regarde avec intensité Sa bouche est immobile, mais je sais ce qu'elle est en train de me communiquer. Maintenant que Cecily a enfin obtenu ce qu'elle attendait de notre époux, cela veut dire que Harry a rangé Rosé au chaud dans ses souvenirs, et qu'il est désormais prêt à visiter la couche de ses autres femmes.

Cecily a l'air si petite et désemparée, pour heureuse qu'elle soit par ailleurs, que je lui dis «Viens » en la remettant doucement sur ses pieds. Elle ne proteste pas et s'appuie même sur mon épaule alors que je la reconduis à sa chambre.

Harry est un monstre, pensé-je, un homme ignoble.

- Vous ne voyez donc pas que c'est encore une gamine ? murmuré-je.

- Hmm ? fait Cecily en haussant les sourcils.

- Rien. Comment te sens-tu ?

Elle grimpe dans son lit, qui est défait et semble avoir été déserté quelques secondes auparavant seulement. Lorsque sa tête touche l'oreiller, elle me lance un regard brumeux :

- Super.

En la bordant, je remarque les petites taches de sang qui maculent les draps.

Je m'assois à côté d'elle, attendant qu'elle sombre dans le sommeil. Je prête l'oreille aux rouges-gorges qui ont fait leur nid sous sa fenêtre. Elle avait voulu me les montrer, telle une enfant cherchant un prétexte pour me parler. Je n'ai pas été très gentille, ni très juste, envers elle. Ce n'est pas sa faute si elle est inconsciente ; elle est si jeune. Et elle a grandi dans un monde sans parents, au sein d'un orphelinat qui ne lui promettait pour tout avenir qu'un statut d'épouse ou de cadavre. Elle ignore à quel point elle est fragile, à quel point elle est passée tout près de la mort dans cette camionnette.

Mais pas moi. Retirant une mèche ébouriffée de son visage, je lui susurre :

- Fais de beaux rêves.

C'est ce que l'on peut souhaiter de mieux, dans cette maison.

Je suis tellement furieuse contre Harry que le simple fait de le voir m'est insupportable. Il entre dans ma chambre le soir même, et sans rien demander, avance vers mon lit. Comme je ne soulève pas les draps, il s'arrête. J'allume la lumière et fais semblant de me réveiller, alors qu'en réalité je l'attendais.

- Bonsoir, fait-il doucement.

- Bonsoir, dis-je en m'asseyant.

Il touche le bord du matelas, sans s'asseoir. Attend-il que je l'y invite ? Cecily la-t-elle fait ? Jenna ne s'y résoudra jamais. S'exclut de recourir à la force, seule Cecily l'acceptera dans son lit.

- Tu étais très belle hier soir, dans l'orangeraie, dit-il.

- Je croyais que vous ne m'aviez pas remarquée.

Même maintenant, il ne me regarde pas. Ses yeux sont tournés vers ma fenêtre obstinément close. Le vent a encore forci, hurlant comme un damné. Oranges et roses doivent s'envoler et tourbillonner dans les airs.

- Puis-je venir dans le lit ?

- Non, lancé-je en repliant avec soin la couverture sur mes genoux.

Il m'observe, hausse un sourcil délicat.

- Non ?

- Non, martelé-je.

Je souhaitais exprimer plus de colère dans ma voix, mais celle-ci me trahit. Un silence tendu s'installe, que je romps en ajoutant :

- Mais merci de demander.

Il reste debout, droit comme un I, semblant ne pas savoir quoi faire de ses mains. Son pantalon de pyjama n'a pas de poches.

- Que dirais-tu d'une balade, alors ?

- Maintenant ? Il doit faire froid, dehors.

Le climat de la Floride s'est jusqu'ici montré très capricieux.

- Mets un manteau. Rejoins-moi à l'ascenseur dans quelques minutes.

Ma foi, je suppose qu'il n'y a pas de mal à marcher un peu. Gagnant ma penderie, je revêts un manteau en laine par-dessus ma chemise de nuit, et une paire de grosses chaussettes qui rend tout mouvement de mes pieds difficile dans mes chaussures.
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Réécriture ©MorganeBie

Éphémère (H.S)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant