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La maison ne s'est pas envolée. Hormis quelques arbres déracinés, tout est rentré dans l'ordre.

Niall me trouve enterrée sous un tas de feuilles mortes. Je sens sa présence au-dessus de moi et ouvre les yeux. Il porte une bouteille isotherme.

-Je vous ai apporté du chocolat chaud. Vous avez le nez tout rouge.

-Et vous, ce sont vos doigts qui le sont, répliqué-je.

Rouges comme les feuilles mortes. Son souffle produit de petits nuages blancs. L'automne fait ressortir le bleu de ses yeux.

-Un insecte, fait-il en désignant ma tête.

Regardant dans la direction indiquée, j'aperçois une petite bête ailée qui sautille et rampe dans mes cheveux. Je souffle dessus, et elle s'envole.

-Je suis contente que le vent ne vous ai pas emporté.

Comme je l'espérais, il prend cela comme une invitation à s'asseoir près de moi.

-Cette maison doit avoir des siècles, dit-il en débouchant la bouteille isotherme.

Le capuchon fait office de tasse, dans laquelle il verse le chocolat chaud. M'asseyant, je l'accepte volontiers et inhale les volutes chaudes et sucrées. Il boit directement à la bouteille, et j'observe la façon dont sa pomme d'Adam monte et descend.

-Elle ne risque pas de s'envoler.

J'observe le manoir en brique au loin, et je vois qu'il dit vrai.

-Alors, vous avez gagné votre pari? demandé-je en sirotant mon chocolat. C'était un ouragan de catégorie deux?

-Un trois.

Il a les lèvres gercées, tout comme moi, contrairement à Harry qui ne sort jamais. Je nous vois comme deux prisonniers, pris au piège dans ce jardin désolé. Ce jardin qui entre en sommeil pour l'hiver à venir.

-Je ne l'aime pas, dis-je.

-Quoi?

-Harry. Je ne l'aime pas. J'ai même du mal à être dans la même pièce que lui. Je voulais que vous le sachiez.

Tout d'un coup, il a du mal à me regarder. Prenant une autre gorgée de chocolat, il lève cette fois la tête pour boire jusqu'à la dernière goutte. Une petite rigole se forme à la commissure gauche de ses lèvres.

-Je voulais juste que vous le sachiez, répété-je.

-C'est bon à le savoir, dit-il en hochant la tête.

Quand nos regards se croisent, nous sourions tous les deux puis nous nous mettons à rire, d'abord timidement, comme si nous nous observions, puis de façon plus franche. Je renifle et pose la main sur ma bouche, trop hystérique pour e sentir gênée. J'ignore ce qui me fait rire ainsi, ou s'il y a seulement matière à rire. Tout ce que je sais, c'est que je me sens bien.

J'aimerais que nous passions plus de temps ensemble. Même si nous devons nous contenter de marcher en donnant des coups de pieds dans les tas de feuilles. Mais alors que nous nous relevons et commençons machinalement à regagner le manoir, il me revient à l'esprit que nous sommes tous les deux prisonniers. Il ne peut me parler que lorsqu'il m'apporte quelque chose, puis il doit s'en retourner aux cuisines, cirer les boiseries ou passer l'aspirateur sur un océan de moquette. Le chocolat chaud n'était sûrement qu'un prétexte.

Plus nous approchons du manoir, plus l'arôme s'estompe. La sensation de brûlure au niveau des papilles se renforce. Les nuages épars se font plus menaçant. Les feuilles mortes se dispersent, comme sous le coup de la peur.

Éphémère (H.S)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant