Nous arrivons devant un grand bâtiment blanc, doté d'un large ruban de velours tendu devant les doubles portes. En sortant de la limousine, je remarque que ce même ruban orne les lampadaires et les devantures. Un homme déguisé en Père Noël fait sonner une cloche, et les passants déposent de l'argent dans un seau rouge, à ses pieds.
— Ils s'y prennent tôt cette année pour le solstice d'hiver lâche Harry d'un ton détaché.
Je n'ai pas fêté de solstice depuis mes douze ans. Selon Zayn, dépenser de l'argent dans des cadeaux et perdre du temps à décorer n'a pas de sens. Quand nous étions enfants, nos parents décoraient la maison à l'aide de rubans rouges et de bonshommes de neige en carton ; en décembre, une odeur délicieuse sortait en permanence de la cuisine. Mon père jouait des morceaux issus d'un livre centenaire intitulé Classiques de Noël, bien que plus personne n'appelle cette fête Noël depuis des lustres. Et lors du solstice, jour le plus court de l'année, nos parents nous offraient un cadeau. Pour l'essentiel, des présents faits maison : ma mère était une couturière hors pair, et mon père pouvait tout fabriquer ou presque avec du bois.
Notre petite tradition s'est éteinte avec eux. Pour mon frère et moi, l'hiver n'était rien de plus que la pire saison de l'année pour les mendiants de Manhattan. A cette heure-ci, nous aurions déjà condamné les fenêtres afin de dissuader les orphelins de se protéger du froid mordant en pénétrant chez nous. À New York, le froid est brutal, violent. La neige s'empilait jusqu'aux poignées de porte, et il fallait se lever aux aurores afin de dégager un passage pour pouvoir aller travailler. Il fallait également tirer le lit de camp plus près du poêle, mais malgré cela, notre respiration produisait un petit nuage blanc.
— Ne t'affole pas s'ils veulent tous te faire le baisemain, me glisse Harry en me prenant le bras et en gravissant les marches.
Harry m'ayant dépeint ces expositions comme des événements froids et ennuyeux, je n'en attendais pas grand-chose. Mais à l'intérieur, je constate qu'il y a une foule importante et bien habillée. Des hologrammes flottent dans salle, images dansantes de maisons qui tournent sur elles-mêmes. Les fenêtres s'ouvrent, et l'on a droit à une visite virevoltante. Chaque architecte, posté derrière son hologramme, fait l'article à qui veut l'écouter. Même les murs et le plafond donnent l'illusion mouvante d'un ciel bleu parsemé de nuages vagabonds. Le sol, quant à lui, figure une prairie constellée de fleurs sauvages, et je ne peux m'empêcher de le toucher pour m'assurer qu'il s'agit bien d'un artifice. J'entre en contact avec les dalles froides, mais on jurerait que mes mains s'enfoncent dans la terre. Harry rit en me reprenant le bras.
— Ils s'efforcent toujours de présenter une atmosphère dans laquelle leurs maisons pourraient être construites, dit-il. C'est plus réussi que la précédente exposition à laquelle j'ai assisté ; on aurait dit un désert. Ça ne faisait qu'aiguiser la soif des visiteurs. Une autre année, le décor était constitué d'un trottoir vide pour encourager les affaires, mais c'était déprimant.
Ça ressemblait à la fin du monde.
La table des desserts est conçue comme un paysage urbain. Je remarque un gâteau en forme de dôme, que l'on a déjà entamé ; une piscine en gélatine frissonnante, aux abords bétonnés en tuiles chocolatées ; une fontaine de chocolat. Les fleurs givrées ont été vandalisées, mutilées : on dirait le pays d'Oz de Dorothy, en version mâchonnée.
Nous avons à peine fait quelques pas qu'on se saisit de ma main pour l'embrasser. Les cheveux de ma nuque se hérissent. Je décoche un sourire radieux.
— Quelle est donc cette petite chose ravissante ? demande un homme.
Le terme «homme » semble inadéquat, au demeurant ; l'intéressé a l'air plus jeune que moi, malgré son costume qui doit représenter un bon mois de consommation électrique du manoir.
Linden déclare fièrement que je suis sa femme ; toujours souriante, je vide néanmoins le premier verre qui passe à ma portée, puis le suivant, ce qui rend les présentations et baisemains successifs plus faciles à supporter. Les épouses que je croise semblent toutes très satisfaites de leur mari. J'ai droit à des compliments à propos de mes bracelets, on me demande combien de temps il a fallu pour me coiffer, plus d'une se plaint de l'incompétence de ses domestiques en ce qui concerne le maniement d'une fermeture Eclair, la broderie des perles...
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Éphémère (H.S)
Hayran KurguL'humanité croyait son avenir assuré. La science avait créé des enfants parfaits, immunisés contre toutes les maladies. Mais qui pouvait imaginer l'en prix à payer? Car désormais, personne ne survit au delà de 25 ans. Le monde a changé. Pour les jeu...