𝟏𝟎 - 𝐌𝐚𝐭𝐜𝐡 𝐜𝐡𝐚𝐨𝐭𝐢𝐜

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𝐎𝐑𝐈𝐎𝐍



Le bruit de la cafétéria me frappe dès que je passe les portes vitrées. Trop de voix, trop de rires, trop de vie. Depuis la mort de Lyra, tout me paraît excessif. Comme si le monde s'était accordé le droit de continuer à tourner sans même me demander mon avis. Les plateaux tintent, des groupes s'interpellent d'une table à l'autre, et une odeur de nourriture réchauffée flotte dans l'air. J'inspire lentement, comme si ce simple geste pouvait m'aider à supporter tout ça.

Roselyn marche à ma gauche, sa main glissée autour de mon bras depuis qu'on a traversé le couloir. Elle ne dit rien, mais je sais qu'elle observe chacun de mes gestes, prête à intervenir si jamais je me replie trop sur moi-même. Mari est de l'autre côté, son éternel sac jeté sur l'épaule, l'air faussement détendu. Elles ont insisté pour manger avec moi ce midi. J'ai d'abord refusé. Puis j'ai cédé. Comme souvent.

Et bien sûr, il n'était pas question que j'abandonne Caz et les autres.

On s'approche de leur table. Ils sont déjà là, tous les trois. Caz est assis en face, affalé sur sa chaise, ses cheveux noirs épais retombant en bataille sur son front, ses yeux bleus nuit rivés sur son téléphone. À côté de lui, Suzane mâchonne distraitement une frite tandis que Riley tente de lui en arracher une autre. Cette vision a quelque chose d'étrangement rassurant. Presque normal.

— On peut ? demande Roselyn en désignant les chaises vides.

— Évidemment, répond Caz en relevant la tête.

Son regard croise le mien. Et pendant une fraction de seconde, le monde alentour s'efface. Je vois juste lui. Son sourire un peu maladroit. Ce truc étrange qui serre ma poitrine depuis quelques jours dès qu'il est là.

Nous nous installons tous les six autour de la table. L'ambiance est... bizarre. Pas mauvaise. Juste fragile. Comme si on avançait tous sur une glace trop fine, conscients que le moindre faux pas pourrait la faire céder.

J'aurais voulu proposer à Will de venir avec nous. Mais il ne met plus les pieds à la cafétéria depuis longtemps. Depuis Lyra. Depuis que sa meilleure amie a été retrouvée morte. Et je ne peux pas lui en vouloir. Pourtant, ça me ronge de le savoir seul.

Lyra n'aurait pas supporté ça.

Elle l'aurait traîné ici de force. Elle aurait râlé. Elle aurait ri. Elle aurait dit que manger seul, c'était triste. Elle aurait voulu qu'il vive.

Je serre machinalement les dents.

J'ai un devoir maintenant. Celui de grand frère. Même si elle n'est plus là.

— Bonna bonna... commence Riley, la bouche pleine.

— Ta gueule.

Suzane et Caz parlent en même temps, parfaitement synchronisés. Roselyn éclate de rire, Mari aussi, et malgré moi, un sourire étire mes lèvres.

— Vous êtes pas drôles, marmonne Riley. Je vais chercher de l'eau.

Il se lève en traînant des pieds.

Je laisse mon regard glisser autour de moi. Le réfectoire est bondé aujourd'hui. Il fait moins froid, et le chauffage fonctionne enfin. Les élèves ont retrouvé un peu de couleur dans leurs joues. La lumière hivernale filtre à travers les grandes vitres, pâle, presque bleutée.

Caz tourne légèrement la tête vers moi.

— Ça va ? murmure-t-il.

Je hoche doucement la tête.

𝐌𝐈𝐃𝐍𝐈𝐆𝐇𝐓 𝐁𝐋𝐔𝐄Où les histoires vivent. Découvrez maintenant