𝐎𝐑𝐈𝐎𝐍
À force que les secondes se transforment en minutes, et que les minutes deviennent des heures interminables, j'ai l'impression que ma vie entière est suspendue à une salle d'opération que je ne verrai jamais. Trois heures. Trois putains d'heures que les portes se sont refermées sur Caz, que les médecins ont disparu avec son corps brisé, et qu'aucune information n'est revenue jusqu'à nous. Trois heures que je reste là, assis sur une chaise en plastique trop dure, incapable de tenir en place, incapable de respirer normalement, le regard rivé tantôt sur l'horloge, tantôt sur la porte des urgences, comme si je pouvais la forcer à s'ouvrir par la seule puissance de ma peur. J'ai de plus en plus peur de le perdre. Cette pensée s'impose à moi avec une violence que je peine à contenir. Vivre sans lui m'est devenu absolument inimaginable. C'est comme essayer de respirer sans air, comme marcher sans jambes, comme avancer dans un monde vidé de toute couleur.
Ses parents sont là. Sa mère, la shérif, droite mais livide, comme si toute la force qui la maintenait debout était sur le point de céder. Son père aussi, nerveux, silencieux, le regard fuyant, et entre eux deux, il y a cette tension presque électrique, faite de reproches muets et de peurs partagées qu'aucun mot ne vient apaiser. Le proviseur est également présent. Suzane, elle, n'a pas tenu. Elle était sur le point de s'effondrer à force de ne pas avoir de nouvelles de son meilleur ami, et j'ignorais à quel point leur lien était fort. La voir partir, presque portée par les infirmiers tant ses jambes tremblaient, m'a déchiré le cœur. Et cette pensée ne me lâche pas : autant de personnes sont en train de risquer de perdre Caz... et moi le premier.
Je sens que je vais exploser si je reste ici une minute de plus. La colère, la peur, l'impuissance, tout me brûle de l'intérieur. Alors je me lève brusquement, mes pas résonnent sur le sol du hall, et je sors fumer pour la sixième fois. L'air glacé de la nuit me fouette le visage dès que les portes automatiques se referment derrière moi. Voir la shérif dans cet état, voir cette femme qui m'a toujours semblé inébranlable trembler de tout son corps, me rappelle brutalement la gravité de la situation. Que Caz pourrait mourir. Qu'il pourrait ne jamais revenir. Que je risque de ne plus jamais le revoir.
— Mon amour... ne me laisse pas seul...
La fumée toxique s'échappe lentement de mes lèvres tandis que je murmure ces mots dans le vide, comme une prière grotesque que personne n'entend. Il fait nuit noire, le ciel est sans étoiles, comme s'il avait décidé d'effacer toute lumière. Il doit être largement plus de minuit à présent. Je n'ai même pas la force de regarder mon téléphone. Il vibre pourtant sans cesse dans ma poche. Blair m'appelle. Cameron. Lucien. Le lycée entier aussi, sûrement. Les élèves sont tous dans ce maudit groupe de discussion, tout le monde réclame des nouvelles de Caz, et je n'ai rien à leur offrir. Même Alek et Kyle ont essayé de me joindre. C'est dire à quel point la situation est grave. Mais je ne réponds à personne. Parce que répondre, ce serait admettre que je n'ai aucune réponse. Que je suis aussi perdu qu'eux.
Une présence s'approche. Je sens quelqu'un s'installer à côté de moi sur le banc humide. Je tourne la tête. C'est sa mère. Elle ne dit rien. Elle me regarde simplement, puis elle me demande du feu d'un geste discret. Je lui tends mon briquet en silence. Elle allume sa cigarette, m'en rend le feu sans un mot. Nous fumons côte à côte, deux âmes suspendues dans un même cauchemar. La nuit est lourde, l'odeur du tabac se mêle à celle du bitume mouillé. Une deuxième cigarette. Toujours pas un mot. Et puis, alors que je m'apprête à en allumer une troisième, elle m'arrête doucement, comme le ferait ma propre mère.
— Je ne savais pas que vous fumiez...
Ma voix me surprend moi-même. J'ai l'impression de ne pas l'avoir entendue depuis des heures.
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𝐌𝐈𝐃𝐍𝐈𝐆𝐇𝐓 𝐁𝐋𝐔𝐄
Fanfiction✷ * ⋆ . ·˚ * . Dans une petite ville où tout le monde se connaît, la mort soudaine d'une adolescente vient briser le calme de l'hiver. Une enquête est ouverte, les regards se croisent, les soupçons s'installent, et le silence devient lourd de...
