𝟐𝟑 - 𝐌𝐢𝐝𝐢 & 𝐦𝐢𝐧𝐮𝐢𝐭

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𝐂𝐀𝐙𝐈𝐄𝐋


Il y a des silences qui font du bien, et d'autres qui te rappellent brutalement que quelqu'un manque. Celui de la maison, depuis quelques jours, appartient clairement à la seconde catégorie. Même quand la télé est allumée, même quand Bounty ronfle comme un tracteur au milieu du salon, même quand ma mère téléphone trop fort dans la cuisine, il reste ce vide discret, tapi quelque part derrière les murs, pile à l'endroit où Orion devrait être. C'est idiot, presque vexant, de constater à quel point une seule personne peut bouleverser l'atmosphère entière d'un endroit sans même y être physiquement. Avant, la maison était bruyante, un peu chaotique, remplie du va-et-vient de Suz, de Riley, des collègues de ma mère, de Joey, des gens qui passent sans prévenir. Maintenant, tout semble fonctionner au ralenti. Comme si même les objets attendaient son retour sans oser trop bouger.

Je suis allongé en travers de mon lit, une guirlande lumineuse emmêlée autour du bras dont je n'ai toujours pas réussi à me libérer complètement, en train de lutter contre un nœud impossible avec la concentration d'un chirurgien... ou d'un idiot obstiné, au choix. Ma mère a décrété, l'air de rien, qu'on allait faire le sapin aujourd'hui. "Pour remettre un peu de normalité dans cette maison", selon ses mots. Traduction : pour éviter que son fils ne passe la journée à fixer son téléphone dans l'attente d'un message venu de Portland. Spoiler : ça n'a absolument pas marché. Mon téléphone est posé juste à côté de moi, écran éteint, silencieux, et je le fixe quand même comme s'il allait me parler par télépathie.

Orion est parti depuis quelques jours maintenant, et on a établi cette règle un peu bancale, mi-sérieuse, mi-ridicule : il m'appelle à midi, je l'appelle à minuit. Lui à l'heure du déjeuner, moi à l'heure où la maison s'endort. Comme un fil invisible tendu entre deux fuseaux horaires émotionnels. Le reste du temps, on s'envoie des messages dès qu'on peut, des trucs bêtes, des photos floues, des phrases inachevées, des "tu me manques" qu'on écrit sans toujours oser les envoyer. Ça ne remplace pas sa présence, mais ça l'adoucit un peu. Comme un pansement posé trop vite sur une plaie qui brûle encore.

Je suis en train de perdre patience avec cette guirlande quand mon téléphone vibre enfin contre le matelas. Midi pile. Comme tous les jours. Mon cœur fait ce petit bond ridicule qu'il fait maintenant systématiquement, comme s'il découvrait l'existence de l'amour toutes les douze heures.

Orion.

Je décroche si vite que je manque de faire tomber le téléphone.

— T'as mis un chronomètre ou quoi ? je lance sans même dire bonjour.

— Non, mais j'ai mis un réveil. Et un autre au cas où. Et encore un autre parce que mes cousins ont décidé que cinq heures du matin, c'était une heure parfaitement décente pour hurler dans toute la maison.

Je souris malgré moi, m'asseyant sur mon lit avec la guirlande toujours coincée autour du bras.

— Tu vis toujours parmi les sauvages, à ce que je vois.

— Je vis avec des enfants qui considèrent que mon existence est un terrain de jeu gratuit. On m'a déjà dessiné une moustache au feutre, caché mes chaussures et volé mes cookies. J'ai perdu toute dignité.

Sa voix est un peu fatiguée, mais je reconnais ce sourire dans chacun de ses mots. Je ferme les yeux une seconde, juste pour l'imaginer mieux.

— Dis-moi que tu n'as pas mangé mes cookies imaginaires, au moins.

— Trop tard. J'ai aussi mangé leur dessert. J'assume pleinement mon statut de voleur de goûters.

Je ris doucement.

𝐌𝐈𝐃𝐍𝐈𝐆𝐇𝐓 𝐁𝐋𝐔𝐄Où les histoires vivent. Découvrez maintenant