𝐌𝐈𝐃𝐍𝐈𝐆𝐇𝐓 𝐁𝐋𝐔𝐄

𝟏𝟓 - 𝐋'𝐚𝐝𝐯𝐞𝐫𝐬𝐢𝐭𝐞́ 𝐧𝐞 𝐦𝐞 𝐟𝐚𝐢𝐭 𝐩𝐚𝐬 𝐩𝐞𝐮𝐫

𝐑𝐈𝐋𝐄𝐘

La fumée glisse lentement entre mes doigts, se tord dans l'air froid de ma chambre avant de disparaître près du plafond. J'ai entrouvert la fenêtre malgré l'hiver, juste assez pour que l'odeur de tabac ne s'incruste pas trop dans les rideaux. Le froid me mord la peau, mais je m'en fiche. J'ai besoin de sentir quelque chose de réel, quelque chose qui pique un peu plus fort que le vide qui s'étale dans ma poitrine.

Dehors, la neige tombe doucement. Des flocons lents, paresseux, presque trop beaux pour cette ville pourrie. Raven Creek n'a jamais été aussi silencieuse. La rue est ensevelie sous un manteau blanc, les lampadaires dessinent des halos dorés qui tremblent dans la nuit. C'est calme. Trop calme.

Je tire une nouvelle taffe.

Et c'est là que je la vois.

Lake.

Ma sœur jumelle.

Elle est dehors, au milieu du jardin, les bras croisés sur son manteau trop fin, les cheveux déjà humides de neige. En face d'elle, Kyle gesticule comme un abruti, la voix trop haute, trop agressive. Même d'ici, derrière la vitre, je devine les mots qui claquent trop fort. Les mains qui s'agitent. La colère.

Je serre la mâchoire.

Putain, évidemment que ça devait être lui.

Je pousse un peu plus la fenêtre pour entendre.

— Tu me fais chier ! crie Lake. J'en ai marre de tes excuses pourries !

Kyle ricane, un rire sec, toxique.

— Tu fais ta princesse, c'est tout. T'as toujours aimé ça, non ? Jouer la victime.

Je vois les épaules de ma sœur trembler. Pas de froid. De rage.

— Tu frappes les gens, Kyle. Tu humilies William. Tu me mens. Tu me traites comme de la merde. Et tu voudrais que je reste ?

Il s'approche trop près d'elle. Beaucoup trop.

Un éclair me traverse l'échine.

— Tu crois que t'es mieux que moi ? souffle-t-il. Tu crois que t'es différente ?

— Non, lâche-t-elle d'une voix ferme. Mais je sais ce que je ne veux plus être.

Silence.

Je retiens mon souffle sans m'en rendre compte.

— C'est fini, Kyle.

Les mots tombent comme une lame.

Il reste figé une seconde, puis son visage change. La colère laisse place à quelque chose de plus sombre. Plus blessé. Plus dangereux.

— Tu reviendras, dit-il dans un sourire mauvais. Vous revenez toujours.

Lake recule d'un pas.

— Non.

Il ricane encore, puis tourne les talons et disparaît dans la nuit blanche. Je reste figé derrière la vitre jusqu'à ce que sa silhouette soit totalement avalée par la neige.  Ce n'est qu'à ce moment-là que je me rends compte que je n'ai plus respiré depuis au moins dix secondes. J'écrase ma cigarette dans un vieux cendrier plein à craquer, enfile mon sweat en vitesse et descends quatre à quatre les escaliers. Quand j'ouvre la porte, l'air glacé me fouette le visage.

Lake est toujours là, immobile, les larmes figées sur les cils.

— Hé... murmuré-je.

Elle tourne la tête vers moi. Son mascara a coulé. Ses joues sont rouges. Et son regard est vide.