𝟑𝟐 - 𝐋𝐞 𝐬𝐨𝐥𝐞𝐢𝐥 𝐞𝐭 𝐥𝐚 𝐥𝐮𝐧𝐞

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𝐑𝐈𝐋𝐄𝐘

La pluie fine martèle le pare-brise depuis déjà plusieurs minutes quand je tourne enfin la clé dans le contact et que le moteur de la voiture s'éveille dans un ronronnement étouffé. Les phares s'allument dans un clignotement pâle, découpant la route détrempée en deux rubans de lumière tremblante, et pendant quelques secondes, avant même d'avancer, je reste immobile, les mains posées sur le volant, à écouter simplement ce bruit régulier, presque rassurant, qui me rappelle qu'au moins une chose fonctionne encore dans ce monde qui semble dérailler un peu plus chaque jour. À côté de moi, Rose s'installe lentement, attachant sa ceinture avec des gestes calmes, presque trop réfléchis, comme si elle savourait cet instant suspendu, ce court répit entre ce que nous venons de quitter et ce que la nuit nous réserve encore.

On ne parle pas tout de suite. Ce n'est pas un silence pesant ni maladroit, mais un de ceux qui savent exactement quoi dire sans passer par les mots. Je sens encore sur mes vêtements l'odeur sucrée des cookies du père de Suz, mêlée au parfum de Rose, quelque chose de doux, de floral, presque apaisant, une odeur qui me donne l'illusion mensongère que le monde n'est pas entièrement en ruines. La maison de Suzane disparaît lentement derrière nous au détour d'un virage, engloutie par les arbres desséchés et la pluie persistante, emportant avec elle ce cocon fragile dans lequel on s'est tous réfugiés aujourd'hui, entre peurs, secrets, tensions et cette fameuse clé qui semble désormais nous coller à la peau, même loin de là.

— Tu penses encore à Caz ? me demande Rose au bout d'un moment, de cette voix douce qu'elle prend toujours quand elle sait déjà la réponse, sans même tourner la tête vers moi.

Je laisse filer un souffle, un sourire sans réelle joie accroché au coin des lèvres.

— J'essaie surtout de ne pas imaginer le pire... mais tu le connais. Quand il a une idée en tête, plus rien n'existe autour. Ni le danger, ni la peur, ni les conséquences.

Elle hoche lentement la tête en regardant la route s'étirer devant nous.

— Il me fait peur quand il est comme ça.

— À moi aussi.

Le silence retombe, plus lourd cette fois. La pluie redouble d'intensité, crépite contre la carrosserie comme une infinité de doigts pressés contre la tôle, et les essuie-glaces balaient le pare-brise avec ce rythme hypnotique que j'ai appris à aimer depuis l'enfance. Raven Creek glisse autour de nous, ses maisons sombres dont les fenêtres éteintes ressemblent à des orbites vides, ses forêts épaisses qui bordent la route comme des silhouettes penchées au-dessus de notre passage, ses lampadaires fatigués projetant une lumière jaune maladive sur l'asphalte luisant. J'ai grandi ici. Chaque virage, chaque rue, chaque trottoir devrait m'être familier. Et pourtant, plus les jours passent, plus cette ville me donne l'impression d'être un piège à ciel ouvert, une cage décorée de forêts et de montagnes, magnifique en apparence, mais dont il devient impossible de s'échapper sans y laisser un morceau de soi.

— Riley...

Je tourne légèrement la tête vers Rose. Elle a cette intonation particulière dans la voix, celle qu'elle prend quand elle hésite, quand quelque chose d'important brûle derrière ses lèvres sans qu'elle sache comment le dire. Ses doigts jouent nerveusement avec le bord de sa manche, trahissant ce que son visage tente de masquer.

— Ouais ?

Elle inspire profondément, comme si elle devait se jeter d'une falaise invisible.

— J'ai reçu la confirmation aujourd'hui.

Mon cœur se serre aussitôt.

— Laquelle ?

Elle se mord brièvement la lèvre, ses yeux fixés sur la route devant nous, puis elle lâche enfin :

𝐌𝐈𝐃𝐍𝐈𝐆𝐇𝐓 𝐁𝐋𝐔𝐄Où les histoires vivent. Découvrez maintenant