𝐌𝐈𝐃𝐍𝐈𝐆𝐇𝐓 𝐁𝐋𝐔𝐄

𝟔 - 𝐂𝐨𝐧𝐭𝐚𝐜𝐭𝐞

𝐎𝐑𝐈𝐎𝐍

Qu'est-ce qu'il fout ici, putain ?

C'est la seule pensée qui m'a traversé l'esprit quand j'ai ouvert la porte et que je suis tombé face à lui. Caziel West. Dans l'embrasure de ma chambre. Avec son sac sur l'épaule, son air paumé, ses yeux bleu nuit qui semblaient chercher une issue de secours au cas où je lui claquerais la porte au nez.

Franchement, j'aurais pu. J'aurais même dû.

Je n'ai envie de voir personne. Encore moins le fils de la shérif. Encore moins lui. Pas aujourd'hui. Pas maintenant. Pas après Lyra.

Et pourtant je ne l'ai pas envoyé chier. Je me suis juste écarté.

Maintenant, il est là. Assis par terre, près de mon lit, à me parler comme si de rien n'était. Comme si le monde ne s'était pas écroulé il y a quelques jours. Comme si ma sœur n'avait pas été retrouvée morte au fond des bois. Comme si ma maison n'était pas devenue un mausolée silencieux.

Il parle des cours. Des contrôles. Du rassemblement au lycée. Des regards pesants dans les couloirs. Des chuchotements. Il me parle de Will qui a pleuré dans les toilettes. De Mari qui a failli s'en prendre à un gars de terminale. De cette putain de vie qui continue alors que la mienne est restée bloquée dans un hurlement muet.

Ça me serre la gorge. Ça me donne envie de fracasser quelque chose.

Je fixe le bout de ma cigarette qui se consume lentement entre mes doigts. La braise devient rouge, s'effrite, tombe en cendres dans le vide. Je suis à deux doigts d'exploser.

— Ça suffira.

Ma voix sort plus sèche que je ne l'aurais voulu.

Il se tait aussitôt.

— Parle-moi d'autre chose, j'ajoute en serrant les dents. Je ne veux pas entendre parler de ce putain de lycée... ni de ma sœur. S'il te plaît.

Le mot est sorti tout seul. Presque suppliant. J'ai honte. Je détourne la tête vers la fenêtre. Le silence s'abat entre nous, lourd, maladroit, tendu. J'écrase mon mégot dans le cendrier qui déborde déjà, puis je me laisse glisser contre mon lit, dos au matelas, jambes étendues devant moi.

Je m'attends à ce qu'il parte.

Mais il ne part pas.

J'entends juste son sac tomber doucement sur le sol. Puis son corps qui descend à son tour, jusqu'à s'adosser au même endroit que moi. Son épaule frôle presque la mienne. Trop près. Beaucoup trop près.

Je tourne légèrement la tête.

Nos regards se croisent.

Et tout me percute en plein visage.

Ses cheveux noirs sont épais, un peu en bataille, comme s'il passait sa main dedans dès qu'il était stressé. Sa peau est pâle, presque lumineuse sous la faible lumière de la lampe. Et ses yeux... ses yeux sont d'un bleu si sombre qu'on dirait une nuit sans lune.

Il ne me regarde pas comme les autres, pas avec cette pitié maladroite qui colle à la peau depuis la mort de Lyra, pas avec cette curiosité malsaine qui cherche à comprendre le drame comme on observe un accident derrière une vitre, pas avec ce malaise pesant qui pousse les gens à détourner les yeux trop vite ; non, lui, il me regarde vraiment, sans détour, sans détourner le regard, comme s'il n'avait ni peur de ce que je suis devenu ni de ce que je pourrais laisser transparaître, et cette façon qu'il a de me voir, de vraiment me voir, sans filtre, ça me retourne l'estomac, ça me désarme complètement, au point que je dois détourner les yeux brusquement pour reprendre contenance, le cœur battant trop fort pour une situation qui ne devrait rien avoir d'exceptionnel ; merde, qu'est-ce qu'il est mignon dans cette lumière bancale, avec ses cheveux noirs un peu en bataille, ses yeux bleu nuit trop profonds pour être honnêtes, et cette nervosité maladroite qui le rend étrangement rassurant, et ça, c'est un putain de problème, un énorme problème, surtout quand je repense à toutes ces conversations de vestiaires où Caziel West a toujours été rangé dans la catégorie rassurante du mec bien, sportif, hétéro cliché, inaccessible par définition, et pourtant là, à cet instant précis, il est dans ma chambre, trop près, trop réel, et beaucoup trop important pour que je fasse semblant de ne rien ressentir.