𝐌𝐈𝐃𝐍𝐈𝐆𝐇𝐓 𝐁𝐋𝐔𝐄

𝟑𝟓 - 𝐈𝐥 𝐞́𝐭𝐚𝐢𝐭 𝐭𝐞𝐦𝐩𝐬

𝐎𝐑𝐈𝐎𝐍

Voilà six heures.

Six heures que je suis là, allongé contre lui dans ce lit d'hôpital trop grand, trop froid, trop blanc, sans avoir fermé l'œil une seule seconde, comme si le simple fait de m'endormir pouvait lui donner la permission de disparaître définitivement. Mon corps est raide, engourdi, coincé dans une position inconfortable depuis trop longtemps, mais je m'en fiche. Tant que je peux sentir sa présence contre moi, tant que je peux entendre le souffle irrégulier qui monte et descend dans sa poitrine, tant que je peux me convaincre qu'il est encore là... alors je tiens. À peine. La nuit a été interminable. Floue. Hachée par les bips des machines, les pas feutrés du personnel infirmier dans le couloir, et surtout par les disputes à voix basse — et parfois plus du tout basse — de ses parents, juste derrière la porte. La fameuse taupe. L'équipe corrompue. Les preuves effacées. Les accusations à demi-mots. La colère. La trahison. La peur surtout. Allison refusait d'y croire. Son père affirmait que tout concordait trop pour être une coïncidence. Et moi, au milieu, coincé entre ces deux voix qui s'entrechoquaient pendant que leur fils, lui, luttait simplement pour rester en vie, branché à des machines qui n'en avaient strictement rien à faire de leurs débats.

Peut-être que c'est mieux qu'il ne se réveille pas encore. Pas pour toujours. Juste pas maintenant. Pas tant que ses parents ne sont pas capables de se tenir dans la même pièce sans se lacérer à coups de reproches. Pas tant que cette affaire de meurtre, de taupe, de mensonges et de menaces plane au-dessus de nous comme une guillotine prête à s'abattre. Caz n'a pas besoin de rouvrir les yeux sur ce genre de chaos. Il mérite au moins quelques minutes de paix avant que la réalité ne lui retombe dessus.

Je me redresse enfin avec difficulté, après être resté bien trop longtemps dans la même position. Mon dos proteste aussitôt, une douleur sourde me traverse les omoplates, descend le long de ma colonne vertébrale, explose dans mes reins. Mes jambes sont lourdes, engourdies, parcourues de fourmillements désagréables. J'ai l'impression d'avoir dormi sur du béton. Il est bientôt huit heures du matin. La lumière grise du jour filtre à travers les stores à moitié relevés, donnant à la chambre une teinte blafarde, presque fantomatique. Il ne s'est toujours pas réveillé. Je sais pourtant ce que les médecins ont dit. Vingt-quatre heures, parfois plus. Je le sais, rationnellement. Mais intérieurement, je bouillonne. J'ai besoin de ses yeux. De sa voix. De son sourire. J'ai besoin qu'il se moque de moi. Qu'il m'agace. Qu'il soit vivant autrement que par un battement sur un écran.

Cette nuit, l'infirmière lui a retiré son tube d'intubation quand les premières vraies respirations autonomes se sont manifestées. Je m'en souviens parfaitement. J'étais en train de somnoler contre lui quand elle m'a doucement tapé l'épaule. Elle m'a expliqué ce qu'elle allait faire, avec cette douceur professionnelle qui ne laisse aucune place à la panique mais qui n'efface pas la peur non plus. Et quand le tube a finalement été retiré, quand sa poitrine a commencé à se soulever toute seule, lentement, difficilement, j'ai cru que mes poumons allaient éclater tellement j'ai respiré trop fort d'un coup. Elle m'a dit que c'était extrêmement encourageant. Qu'il récupérait vite. Qu'il était fort. Puis ils l'ont transféré dans cette chambre plus grande, parce que sa vie n'était plus en danger immédiat. Plus en danger immédiat. Ces mots résonnent encore dans ma tête comme un mantra dont je refuse pourtant de totalement me satisfaire.

Je jette un coup d'œil au fauteuil à côté du lit. Allison dort encore. Enfin... dort est un grand mot. Elle est affaissée, recroquevillée dans ce fauteuil trop étroit, le visage ravagé par l'épuisement, les traits tirés par une nuit trop longue, trop lourde. Malgré tout ce qu'elle dégage d'autorité d'habitude, là, elle n'est plus qu'une mère terrorisée, vidée, suspendue à la survie de son fils.