𝐂𝐀𝐙𝐈𝐄𝐋
Orion a une fausse carte d'identité. Une bonne. Du genre à duper sans trembler un vendeur blasé de supérette, même à deux doigts de la fermeture. C'est comme ça qu'on s'est retrouvés avec un pack de bières sous le bras, à l'autre bout de la ville, loin de la mairie, loin de nos parents, loin de tout ce qui pouvait nous rappeler qu'on n'avait absolument rien à foutre là.
Nous avions quitté la mairie discrètement, en profitant d'un moment de flottement, comme deux silhouettes qui se décrochent d'un décor trop lourd. Personne ne nous avait suivis. Ou si quelqu'un l'avait fait, il avait décidé de fermer les yeux. Dehors, la neige tombait doucement, épaisse, silencieuse, transformant les rues familières en un paysage presque irréel. Chaque pas crissait sous nos chaussures, et le froid s'insinuait jusque sous mes gants. J'ai manqué de me casser la gueule au moins trois fois sur le trottoir gelé. Orion, lui, avançait avec une sorte d'assurance tranquille, comme s'il connaissait le terrain par cœur.
— Fais gaffe, West, lança-t-il avec un ricanement quand je faillis encore me vautrer.
— Je t'emmerde, marmonnai-je en me rattrapant au dernier moment.
Son rire m'a frappé en pleine poitrine. Un vrai rire. Court, presque surpris. Ça m'a réchauffé plus sûrement que la laine de mon manteau. Puis, comme toujours, son sérieux est revenu. Une porte qu'on referme trop vite.
Je n'avais pas eu à le supplier pour qu'il s'échappe avec moi. Quand je lui avais soufflé qu'on se tirait, il avait simplement hoché la tête. Pas de question. Pas de protestation. Comme s'il attendait qu'on l'emmène ailleurs, n'importe où, tant que ce n'était pas là-bas. Je n'ai rien demandé. Orion n'est pas du genre à raconter sa douleur. Mais ses yeux noirs, eux, parlaient pour lui. Fatigués. Trop vieux pour son âge.
Quand on a ouvert nos bières, on s'est posés sur un muret près de la station-service. L'endroit était presque désert, seulement traversé de temps en temps par les phares d'une voiture. Je buvais sans vraiment savourer, mes yeux revenant sans cesse vers lui. Orion buvait lentement, le regard perdu dans le vide, comme s'il observait un monde que je ne voyais pas.
Le silence entre nous n'était pas pesant. Il était lourd, oui, mais pas inconfortable. Un silence qui ne demande pas d'être brisé.
Je l'ai revu plus jeune, malgré moi. Le Orion du primaire. Celui qui avait sauté sur un garçon plus grand que lui pour défendre un môme qu'on maltraitait. Ce jour-là, il s'était pris une sale réputation. Violent. Instable. Mais c'était faux. Orion n'a jamais été violent gratuitement. Il frappe ceux qui le méritent. Un putain d'anti-héros, version réalité. Un Deadpool sans masque.
Et là, en le regardant dans la nuit glacée, je me suis demandé s'il n'était pas simplement fatigué d'être celui qui protège toujours. Peut-être que, pour une fois, c'était lui qui avait besoin qu'on veille sur lui. Alors je resterais. À ma manière foireuse. Mais je resterais.
La bière a fini par nous donner faim. Le McDo, un peu plus loin, clignotait dans la neige comme une promesse de chaleur. On y est allés sans vraiment se parler, on a commandé deux menus, et on s'est installés dehors, malgré le froid. Le métal de la table gelait à travers le tissu de mon pantalon.
— On est franchement cons, lâchai-je en soufflant sur mes doigts.
— Un peu, admit Orion sans me regarder.
Il mangeait méthodiquement, lentement. Moi, je picorais, plus occupé à l'observer qu'à manger. Parfois, nos regards se croisaient, et il y avait quelque chose d'électrique là-dedans.
Puis il a parlé.
— J'ai peur de retourner au bahut.
Sa phrase est tombée comme un caillou dans l'eau. Simple. Mais profonde.
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𝐌𝐈𝐃𝐍𝐈𝐆𝐇𝐓 𝐁𝐋𝐔𝐄
Fiksi Penggemar✷ * ⋆ . ·˚ * . Dans une petite ville où tout le monde se connaît, la mort soudaine d'une adolescente vient briser le calme de l'hiver. Une enquête est ouverte, les regards se croisent, les soupçons s'installent, et le silence devient lourd de...
