𝐒𝐔𝐙𝐀𝐍𝐄
Je crois que je n'ai jamais vu une salle de classe aussi pleine et aussi vide à la fois. Pleine de gens, de bruits, de crayons qui grattent, de rires étouffés dans le fond, de messages qui circulent sous les tables, de prof qui fait semblant d'y croire encore alors qu'on est littéralement la veille des vacances de Noël et que plus personne n'a un neurone disponible pour autre chose que le bal, les cadeaux et la neige. Vide parce que, pour moi, il manque des pièces. Comme si quelqu'un avait pris ma petite bande, secoué la boîte et retiré les éléments principaux. Pas de Caz, pas d'Orion. Juste leurs chaises à moitié reculées, leurs noms sur le plan de classe, et cette impression désagréable d'être dans une version un peu cassée de ma vie habituelle.
Je fixe l'horloge au-dessus du tableau comme si j'essayais de la faire avancer par la force mentale. L'aiguille des secondes claque dans le silence relatif de la salle, régulière, insolente. La prof de maths parle toujours, elle trace des équations incompréhensibles au tableau avec l'énergie d'une femme qui refuse d'accepter la réalité: personne ne l'écoute. Seule, peut-être, la future première de promo au premier rang, celle qui respire pour les moyennes générales. Moi, j'ai posé mon menton dans ma main, le coude planté sur la table, et je suis occupée à faire ce que je fais de mieux: penser à ma vie sentimentale catastrophique au lieu de résoudre des problèmes à deux inconnues.
Le bal de Noël. Ce truc censé être "magique", "féérique", "inoubliable". Mon cul, oui. À la base, ça devait être une bonne soirée, hein. On devait y aller tous ensemble, comme chaque année, sauf que cette fois ce serait le dernier avant la fin du lycée. La grande version cinéma pour ado américain, avec guirlandes, robes moches mais travaillées, costards trop grands, musique trop forte et photos humiliantes qu'on ressortira dans dix ans. Ça devait être drôle, un peu ridicule, mais drôle. Sauf que maintenant, Riley y va avec Roselyn, main dans la main, officialisés, estampillés couple validé par la mairie, la paroisse et Instagram. Caziel et Orion, eux, sont en renvoi depuis hier, merci la bagarre et la violence pédagogique. Et moi... moi je suis là, coincée entre tout ça, sans cavalière, sans cavalier, avec une meilleure amie qui ne sait même pas qu'elle est mon crush et qui passe son temps à dessiner en faisant comme si de rien n'était.
Je griffonne sur le coin de mon cahier un truc qui ressemble vaguement à un sapin dépressif, les branches toutes de travers, les boules qui se cassent la gueule, et je le regarde comme si c'était le symbole universel de mon existence. Qui je suis censée emmener, moi, au bal ? Je ne vais quand même pas débarquer seule comme une héroïne de comédie romantique qui découvre subitement l'amour en trébuchant sur un inconnu à la dernière minute. Ce n'est pas un film, c'est Raven Creek. Ici, quand tu trébuches sur quelqu'un, tu as trente pour cent de chances que ce soit un futur criminel, quarante pour cent que ce soit un footballeur idiot, et le reste que ce soit un prof qui va te coller.
La prof pose une question à la classe. Personne ne répond. Elle insiste. Silence. Finalement, une main se lève à moitié. Pas la mienne. La mienne est occupée à tourner mon stylo entre mes doigts comme si je préparais un trick de jonglage. J'ai complètement décroché. Quand elle me désigne de la tête, je sursaute doucement, les joues qui chauffent.
— Mademoiselle Forks, vous voulez peut-être partager votre réflexion passionnante avec la classe ?
Je relève les yeux vers elle, consciente d'avoir le visage de quelqu'un qui n'a pas entendu un seul mot depuis dix minutes.
— J'essayais de calculer combien de temps il reste avant la sonnerie, je réponds sans réfléchir.
Quelques rires étouffés s'échappent dans la salle. La prof pousse un long soupir, celui des adultes qui regrettent d'avoir choisi ce métier.
VOUS LISEZ
𝐌𝐈𝐃𝐍𝐈𝐆𝐇𝐓 𝐁𝐋𝐔𝐄
Fanfiction✷ * ⋆ . ·˚ * . Dans une petite ville où tout le monde se connaît, la mort soudaine d'une adolescente vient briser le calme de l'hiver. Une enquête est ouverte, les regards se croisent, les soupçons s'installent, et le silence devient lourd de...
