2. Wellan

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Lorsque j'étais plus jeune, je pensais qu'un roi passait ses journées assis, entouré d'une armée de serviteurs prêts à répondre à ses moindres besoins. Je pensais qu'il ne faisait rien. À cette époque, c'était la vie dont je rêvais.

Aujourd'hui, je suis moins sûr de vouloir diriger un pays tel que le fait mon père. Son quotidien est loin d'être aussi que je le pensais : il doit gérer les liens diplomatiques avec les autres royaumes, s'assurer que les lois sont respectées, gérer lui-même les situations hors du commun, créer des lois pour protéger son peuple et, en dernier, offrir un divertissement à ses sujets.

Si cette dernière option me plait particulièrement, tout le reste m'ennuie. Mon père a tenu à ce que je l'accompagne à quelques réunions du Conseil cette année et tout ce que j'ai réussi à accomplir, c'est m'endormir pendant la présentation soporifique d'un énième vieil homme à la barbe blanche. Ce que je préfère, ce sont les tournois organisés par la Couronne, les défilés au milieu de la capitale, les bals où plusieurs courtisanes se pressent contre moi pour attirer un peu de mon attention. La politique, très peu pour moi.

J'ai bien essayé de faire comprendre à mon père que je n'ai aucun désir de prendre sa place sur le trône lorsqu'il passera dans l'autre monde, il n'a rien voulu entendre. En tant que premier né, je ne peux pas me contenter de mon statut de mon statut de prince, je suis l'héritier de la Couronne, et personne ne peut me remplacer. Mes frères seraient plus doués que moi pour diriger le royaume, mais le roi n'en a pas démordu.

Il ne mourra pas tout de suite. C'est ce que je me répète pour me rassurer tout en parcourant les couloirs froids du palais. Pourtant, un jour viendra où il expirera son dernier souffre et où je devrai me montrer à la hauteur.

J'ai peur de ne jamais y parvenir.

Tandis que je marche d'un pas régulier, je regarde droit devant moi, accordant sourires aux courtisanes et signes de tête aux membres de la Garde Royale. Habituellement, deux d'entre eux devraient me suivre comme mon ombre, mais depuis que je maitrise le maniement d'une épée, leur présence n'est plus nécessaire. Quiconque ose m'attaquer mangera la poussière.

— Prince Wellan.

Le prêtre royal Petyr. Je l'ai à peine remarqué, caché derrière ses robes de religieux, recroquevillé sur lui-même comme s'il était une pauvre chose. Nous savons lui et moi qu'il n'est pas aussi fragile qu'il le prétend devant la Cour ; je l'ai surpris en plein ébat sexuel avec une prostituée il y a quelques mois, et il était plus vigoureux qu'il ne le laissait croire. Pense-t-il qu'en jouant la victime, il convertira davantage de païens au culte des dieux ?

— Petyr.

Sa grimace m'arrache un sourire de satisfaction. Je refuse de l'appeler par son titre depuis mon jeune âge, et il désapprouve. Toutefois, même s'il est le représentant des dieux sur terre, il n'a aucune autorité sur moi et ne peut pas me réprimer, seulement me conseiller.

— Sa... Majesté... le...

Déjà énervé par son comportement digne d'un mauvais comédien, je lève les yeux au ciel.

— Arrêtez de jouer au vieillard affaibli avec moi. Je suis très au fait de vos compétences physiques.

Le prêtre comprend aussitôt mon sous-entendu et fige, l'espace d'un instant. Il jette un coup d'œil derrière lui, probablement pour s'assurer que personne ne remarque son petit manège, avant de reporter son regard froid sur moi. Je n'ai jamais apprécié les religieux, les trouvant aussi fades que les couloirs de cette aile du palais. Ils portent des tuniques aux couleurs ternes, ne parlent que des dieux et de leurs bienfaits, en plus d'être incapables de s'amuser.

Sauf Petyr, qui semble avoir pris son pied avec cette prostituée étrangère.

— Sa Majesté le roi m'a partagé son inquiétude quant à votre refus de prendre la Couronne lorsque le moment sera venu.

— Je n'ai pas refusé de devenir roi, je pense seulement que mes frères seraient davantage qualifiés, prétends-je, me retenant de ne pas déguerpir.

Depuis quand les prêtres ont-ils leur mot à dire dans les affaires du royaume ? Certains d'entre eux se trouvent au palais pour gérer la vie spirituelle, et non la politique. Ils n'y ont pas leur place.

— C'est vous que les dieux ont désigné pour prendre la place de votre père, Wellan.

Cette fois, je ne peux retenir un soupir de découragement. Voilà précisément la raison pour laquelle on sépare la Couronne et la religion. Il y a des années maintenant, le prêtre royal a déclaré, devant une foule en liesse, que ma tante, la sœur du roi, la princesse Jamila, devait marier le prince du royaume voisin, Menele. Il a affirmé que les dieux feraient d'eux un couple puissant, qui maintiendrait la paix sur le continent. Résultat : deux mois à peine après les fiançailles, elle a disparu. Probablement assassinée par son époux, qui avait la réputation d'être violent avec les femmes.

Il ne m'en faut pas plus pour rejeter l'avis religieux. Tant mieux si certains croient aux dieux et s'appuient sur eux pour passer au travers des moments différents. Je ne suis pas l'un d'entre eux.

— Même si je ne crois pas en eux ? lancé-je néanmoins, narquois.

— Ils me l'ont dit eux-mêmes, Votre Majesté, vous êtes destiné à de grandes choses. Les princes Zacharie et Sébastian ont également un avenir brillant devant eux, mais il n'implique pas de monter sur le trône.

Un petit sourire m'échappe. Quelques phrases ont suffi à le rendre mal à l'aise, à le rendre aussi fragile qu'il prétend l'être. Si je ne suis pas de nature sadique habituellement, j'ai toujours éprouvé beaucoup de plaisir à déstabiliser ce brave Petyr.

Je saisis la manche du prêtre, l'approche de moi et plonge mes yeux dans les siens, ternes.

— Je sais que les dieux ne vous ont rien dit de tel. La prochaine fois que vous aurez la mauvaise idée de me partager ces sottises, je parlerai de vos expériences sexuelles avec mon père.

Ma menace le fait reculer de deux pas. La brève lueur de panique que j'aperçois dans son regard m'arrache un sourire de satisfaction.

Sans m'attarder davantage, je dépasse l'homme détestable et continue ma marche à travers du palais. Cet interlude m'a probablement mis en retard, c'est pourquoi j'accélère le rythme tout en retrouvant ma bonne humeur. Je salue les serviteurs, les courtisanes et les nobles croisant mon chemin. Au loin retentit une clameur de plus en plus forte. Plus j'avance, plus les cris se font entendre. Bientôt, le sol tremble, les passants se font plus rares et mon cœur se remplit d'amour.

La foule, dehors, est là pour moi.

Alors que j'atteins la fin de l'interminable couloir, à quelques mètres du balcon, je m'arrête un instant. Lorsque je poserai le pied à l'extérieur, ce sera la folie, comme chaque fois que je me présente en public. Le peuple m'adore, pour une raison que j'ignore. Il m'acclame, crie mon nom, fait la fête pour moi.

Et j'adore ça.

Avec un sourire, je marche jusqu'au balcon, remplissant mes poumons d'air frais et d'applaudissements. Mes yeux se posent sur la foule en contrebas, amassée sur la petite place. Ma sortie, cet après-midi, n'était pas prévue ni annoncée, mais lorsqu'on m'a prévenu d'un attroupement scandant mon nom, près de l'aile ouest, je n'ai pas pu m'empêcher de venir le rencontrer.

Leur énergie me fait du bien. Ces gens, de différents statuts, criant pour moi, m'acclamant comme si j'étais un dieu, croient en moi. J'ignore ce qu'ils voient, mais ils m'aiment. Et je compte bien en profiter.

Je les salue, tout en détaillant la foule du regard. Des jeunes femmes, enfants, vieillards, adultes dans la fleur de l'âge... Des visages couverts de crasse, d'autres propres et en bonne santé, des fermiers et des nobles. Ils se réunissent, oubliant leurs différences, pour moi. Que voient-ils en moi ? Un futur roi, comme le prétend mon père ?

Ils ne me connaissent pas. La plupart d'entre eux n'ont jamais croisé ma route, ne m'ont jamais adressé quelques mots, ne savent rien de moi sinon ce que la Couronne veut bien leur partager.

Alors, pourquoi crient-ils, rient-ils, sourient-ils lorsqu'ils me voient ?  

La Tueuse de PrincesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant