30. Wellan

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C'est au bout de deux jours de voyage à dos de cheval que nous arrivons à destination. Enfin, presque. Il reste encore quelques kilomètres à parcourir, mais Hector m'a assuré que je pourrai dormir dans un lit un peu plus confortable ce soir. Je me réjouis de ne plus dormir à même le sol.

Il n'y a pas de village à proximité de la frontière, le plus proche ayant été rasé, et sa population massacrée il y a quelques semaines. Lorsque les soldats nous informent que nous nous trouvons très près de l'endroit où l'horreur s'est déroulée, je prends mon courage à deux mains et demande à Hecto de s'arrêter. La surprise se lit dans ses prunelles, mais je ne recule pas. C'est important. Je dois voir la scène de mes yeux. Après tout, si je veux me rendre à la frontière, c'est entre-autres pour me rendre compte de l'ampleur de la situation.

— Tu es certain ? me demande mon mentor, qui arrête son cheval deux minutes. Tu risques d'y voir des horreurs et je ne suis pas sûr que tu sois prêt, Wellan.

Personne n'est prêt à voir la cruauté des hommes.

Malgré tout, je hoche la tête, ayant déjà un sanglot dans la gorge. Les paroles me manquent, ma salive s'évapore. Mon esprit est sur le point d'être aspiré par l'horreur, j'en suis conscient. Mais plus j'y pense, plus il me semble évident que c'est la chose à faire. Qu'en tant que futur souverain, je dois faire face aux tragédies qui se déroulent sur mes terres. Je dois voir de mes propres yeux le massacre qui a eu lieu pour mieux contrer les éventuelles répétitions, pour savoir avec quelles sortes d'ennemis j'ai à faire. Et pour sortir définitivement de cette bulle de protection dans laquelle mon père m'a enfermée toute ma vie.

Le choc sera brutal. Mais je suis prêt.

Hector fait un signe d'approbation aux deux soldats accompagnateurs qui prennent la tête, probablement pour nous mener au fameux endroit où le village se tient. Enfin, ce sont des ruines, désormais.

Nos chevaux reprennent un rythme de voyage acceptable, même si tout me semble plus lent, comme si le temps s'était ralenti. Je sens qu'Hector, à mes côtés, n'est pas certain de mon choix, mais je ne peux pas reculer, malgré toutes les excuses que je peux me trouver. J'ai déjà vu l'horreur, la mort, les massacres, même s'il n'y a eu jamais d'attaque de la même ampleur dans la capitale. Il y a eu des tentatives de révolte, des conflits, près du palais, et j'ai toujours tenu à me montrer sur le champ de bataille, à être présent mais aussi à abattre de ma main les ennemis. La mort, je l'ai déjà affrontée,

Néanmoins, je sais très bien que la scène qui m'attend à quelques lieues d'ici est pire que tout ce à quoi j'ai déjà fait face, que je risque de faire des cauchemars pendant des jours.

Et il faut que je vois ces cauchemars de mes propres yeux.

— Tu l'as vu ? lui demandé-je, le cœur battant de plus en plus vite, les yeux rivés sur le petit sentier de terre et de poussière.

Le paysage reste sensiblement le même tandis qu'on avance, rien ne m'indique qu'on arrivera bientôt à destination. Il n'y a pas de drapeau, d'avertissement pour préparer les voyageurs au traumatisme qui les attend. Il faut donc que je me laisse porter et que je sois prêt à arriver d'une minute ou l'autre devant un spectacle qu'il me faudra graver dans ma mémoire.

Hector, lui, hoche la tête avec une lassitude qui me fend le cœur.

— Lorsque je suis passé par ici lors de mon premier trajet vers la frontière, j'avais comme tâche de me rendre sur place pour évaluer les dégâts.

Je n'ose pas répliquer, de peur de ce qu'il pourrait me révéler.

— Wellan, il n'y a pas de dégâts, il n'y a plus rien

La Tueuse de PrincesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant