19. Annita

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Dans quelques heures, je ferai partie de cette noblesse que j'ai toujours méprisée.

Je n'y crois toujours pas, même si les paroles ont été prononcées par le prince lui-même. Lorsque Wellan m'a dit vouloir passer un marché avec moi, je ne m'attendais certainement pas à une telle offre, à ce qu'il fasse de moi une courtisane, une lady, à la seule condition que je passe plus de temps avec lui pour qu'il apprenne à me décrypter.

C'est un jeu dangereux. Parce qu'en devenant une noble, je ne suis plus invisible comme une petite domestique l'est. Des gens importants vont se poser des questions, s'intéresser à moi. Une histoire sera créée de toutes pièces par le prince Wellan. Pourtant, de son côté, il tentera de découvrir mon identité. Bien qu'il soit intelligent, je doute qu'il y parvienne. J'ai des années de pratique dans le mensonge et la dissimulation. Même les peu vertueux gens de la cour ne peuvent me battre à ce jeu.

Tout de même, je dois rester prudente. Ces derniers temps, je me suis trop laissé aller, je ne peux pas permettre au prince d'accéder davantage à mes pensées les plus personnelles. Il en sait déjà trop sur moi. Je suis encore plus en danger que lorsque je n'incarnais qu'une simple domestique. Malgré tout, ce marché, je ne pouvais pas le refuser. Ça aurait mis la puce à l'oreille du prince.

Et même si j'essaie de ne pas y penser, l'idée de passer plus de temps en sa compagnie ne me déplait pas du tout. J'ai beau essayer de me convaincre du contraire, de le voir uniquement comme une cible à abattre, je n'y parviens pas. Plus je le côtoie, plus je me rends compte à quel point cet homme est humain, à quel point j'aime être près de lui.

Un soupir m'échappe. Pour le moment, je dois attendre dans la chambre où je me suis réveillée que le prince Wellan ose m'accorder un peu de son temps pour venir me donner des nouvelles. Il m'a dit, avant de s'éclipser tel un fantôme, que mon travail au service de Lady Camélia était terminé, qu'il l'avait renvoyée du palais et que je n'aurais donc pas à me méfier d'elle alors que je ferai mon entrée à la cour. Je ne peux m'empêcher d'être désolée pour elle : ma seule présence est la raison pour laquelle on la renvoie à la maison. D'un autre côté, une vipère de moi au palais ne peut faire de mal à personne. Écouter ses jérémiades et assister à tentatives de coups bas envers les autres courtisanes me rendaient complètement folle.

À quelques heures de cette nouvelle vie, je ne peux m'empêcher d'avoir une pensée pour Renya, qui travaille sûrement aujourd'hui et qui est désormais seule dans le dortoir – elle ne s'entend pas très bien avec les autres filles. Je ne reviendrai jamais – question de ne pas attirer davantage de soupçons – et elle restera donc seule, sans alliée, dans ce monde où les domestiques sont traités comme des moins que rien. Je ne peux pas retourner et lui parler ; ça pourrait remettre tout notre plan en jeu. Qui sait ce que la cour pourrait me faire si le secret était ébruité...

Allongée sur un lit qui n'est pas le mien, je soupire. Ma blessure à l'avant-bras a été pansée, mon cou me fait moins mal. Pourtant, il reste que, quelques secondes après avoir défait le dernier adversaire, je me suis effondrée au sol sans connaissance, affaiblie par le manque d'air. Je ne peux m'empêcher d'être déçue par ce combat et par ma faiblesse. À force de trainer dans ce palais, sans enchainer les missions, j'ai perdu de la vitesse et de la technique.

Parce que c'est un fait : je ne peux pas m'entrainer ici. Si les femmes peuvent tout à fait faire partie de l'armée d'Astha, c'est plutôt ma position qui m'interdit de le faire. On me demanderait d'où me viennent mes capacités et je devrais encore inventer un mensonge. S'il y a une chose que j'ai appris concernant l'art du détournement de la vérité, c'est de l'utiliser le moins possible.

Si les appartements de courtisane que Welllan m'attribue sont assez grands, je pourrais m'y entrainer. Un petit sourire amusé m'échappe.

Tout à coup, la porte s'ouvre sur un Wellan passablement énervé. Je remarque la veine saillante dans son cou, ses poings serrés si fort que ses jointures sont blanchies et ce sourire qu'il arbore en tout temps, désormais évaporé. Pourtant, lorsque ses grands yeux verts se posent sur moi, son regard s'adoucit, et un petit rictus se dessine sur ses lèvres.

La Tueuse de PrincesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant