7. Annita

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Depuis que j'ai parlé avec le prince Wellan dans le couloir, je l'évite comme la peste. C'est la première fois que je suis aussi honteuse après avoir fait quelque chose. Après avoir découvert qu'il ne s'entendait pas avec sa mère, la reine en personne, j'aurais dû déguerpir. Pourtant, quelque chose m'en a empêchée, et j'ai vu le masque du prince tomber, l'espace de quelques secondes. Encore une fois, j'aurais dû m'éloigner.

Mais j'en ai été incapable.

Je lui ai parlé d'égal à égal, ce qui aurait pu me valoir la mort. J'ai tutoyé un membre de la famille royale Je ne me suis pas inclinée. Bref, il y a toutes les chances que, s'il me remarque, il me fasse arrêter. Arrêter pour quoi au juste ? Je n'ai pas respecté l'étiquette, mais c'est tout. C'est mon côté paranoïaque qui parle ; en vérité, il n'en fera rien. Il connait mon nom, je le lui ai donné telle une amateure, et nous nous sommes parlé pendant un moment. Il sait quelle femme je sers et il ne lui faudrait pas beaucoup d'efforts pour déterminer où je dors la nuit. Pourtant, il n'a rien fait, n'a rien dit. Les jours s'écoulent et je circule encore librement dans le château. Mes journées sont ennuyantes, et je sers une lady Camélia désagréable, mais jamais je ne vois poindre le bout de son nez royal.

En réalité, j'ignore ce qui me stresse à ce point. Ça ne me ressemble pas. Avant cette mission, je n'angoissais pratiquement jamais ; au contraire, je maitrisais l'art de la mort comme nulle femme de mon âge le faisait. Il n'y avait pas de panique ni d'inquiétude, rien que des tâches réussies. Est-ce parce que ma mission peut entrainer des conséquences qui pourraient m'être fatales ? Ou est-ce... autre chose ?

Je secoue la tête. Ce genre de pensées est ridicule. Mon esprit de femme faible trouve le corps du prince agréable à regarder, et c'est d'un ridicule sans nom. Ce n'est qu'un physique, une enveloppe, une illusion, rien de plus. Je ne dois pas la considérer. Surtout qu'une fois sa curiosité à mon égard passée, il risque de retourner rapidement vers son amante du moment. Je n'ai rien de spécial.

Après avoir nettoyé les appartements de Lady Camélia – impeccables, mais elle a pourtant affirmé qu'ils étaient sales « comme une porcherie » –, je ne sais que faire du reste de ma journée. La courtisane ne prenant pas le repas du soir dans sa chambre, je n'ai, techniquement, aucune obligation de m'attarder ici. Si je reste dans le coin, elle risque d'apparaitre dans quelques minutes et de me demander de réaliser une tâche ridicule. C'est ce qu'elle a fait toute la semaine, comme pour me punir de ma conversation avec le prince Wellan. Récurer sa salle d'eau, laver ses meubles, réveiller un cuisiner en plein nuit afin de lui apporter des collations, puis les renvoyer à la cuisine parce que, finalement, elle n'avait pas si faim... Les derniers jours ont été plus qu'ennuyants : ils ont été une véritable torture. Depuis mon jeune âge, je suis habituée à servir, pour l'Ordre, mais jamais je n'ai été obligée de répondre aux moindres caprices d'une jeune femme égocentrique, qui rêve de choses futiles.

Elle parle beaucoup, par contre. Si elle me demande de fouiller un peu partout et de tendre l'oreille pour entendre les ragots de la cour, elle ne semble pas se préoccuper de ce que moi j'entends de sa bouche. Lorsque je la coiffe le soir ou le matin, elle parle à son miroir sans croiser mon regard, et si la plupart du temps, elle ne s'adresse à personne en particulière, parfois elle semble s'adresser à moi. Je ne réponds jamais, me contente de hocher la tête et d'esquisser un semblant de sourire. Je dois lui faire croire qu'elle a raison de s'inquiéter du manque d'intérêt du prince pour sa personne, qu'elle est dans son droit d'insulter les autres courtisanes ou les serviteurs du palais. Je ne peux pas exprimer la moindre opinion. Mon libre-arbitre au fond d'un tiroir sale et poussiéreux, je deviens une poupée dont elle peut se servir à sa guise.

Mais parfois, elle lâche des informations pertinentes entre deux rires perçants, ou du moins des pistes de réflexion qui m'aident à comprendre le tableau qu'est la famille royale. C'est ainsi que j'ai appris pourquoi Wellan ne s'entendrait pas avec sa mère ; selon la cour, elle ne se serait jamais réellement occupée de ses enfants, en plus d'être, à présent, toujours en voyage diplomatique. Et les ragots en ce qui concernent ces déplacements, longs et inutiles, sont nombreux et de plus en plus originaux...

Tout ceci explique bien la rage que le prince a démontrée en sortant des appartements de sa mère, alors qu'il croyait le couloir vide. Même si je ne l'ai pas croisé très souvent depuis mon arrivée au château, je ne l'ai jamais vu aussi furieux, aussi désemparé, aussi... seul. Lui qui est toujours si souriant devant le peuple, qui le salue comme si c'était une vieille amie, qui est la joie et la fierté du royaume, se pourrait-il qu'il soit en vérité seul à porter un immense poids ?

Bien sûr, toutes mes questions et les réponses que je désire trouver n'ont qu'un seul but : en apprendre davantage sur ma victime pour mieux la tuer. Comme il s'agit du prince, bientôt héritier d'un royaume puissant et influent, je ne peux pas l'assassiner en vitesse et déguerpir de la cour sans donner mon reste. Il me faut dénicher le meilleur moyen de mettre fin à sa vie et rejeter la faute sur quelqu'un. Et pour cela, il faut un motif. Moi qui croyais que personne ne le détestait, peut-être y a-t-il davantage à creuser...

Mais pour cela, je dois être près de lui, le côtoyer plus régulière, peut-être même intégrer son cercle proche. Si aucune de ses failles ne parait au public, s'il n'y a aucune rumeur négative sur Wellan, même cette cour où tout se sait – j'ai d'ailleurs appris par un serviteur un peu trop bavard que le roi Carlton est constipé et ne va à la selle qu'à chaque dix jours, à mon plus grand bonheur –, c'est parce qu'il est le seul à les connaitre, le seul à porter quelque chose. Il n'y a qu'une façon de les mettre à jour : me rapprocher de lui et lui faire avouer, ou au moins, le trouver par moi-même. Je dois donc cesser de l'éviter comme la peste, me donner un coup de pied au cul, prendre une bonne dose de courage et l'aborder, attiser les braises de sa curiosité, encore chaudes. Rien de plus facile.

Pourtant, peu à peu, un plan se développe dans mon esprit.

La Tueuse de PrincesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant