Lorsque Wellan me partage ce que les autorités militaires lui ont révélé, la colère monte en moi tel un volcan à deux doigts de l'explosion. Une détresse sans nom m'étreint le cœur. Des images reviennent me hanter. Mais surtout, c'est la terreur qui s'empare de moi.
Ça ne peut pas se reproduire.
— Wellan, il faut faire quelque chose.
Nous nous trouvons dans la chambre qui nous a été attribuée, les deux à chaque extrémité de la pièce, le cœur en vrac et la tête bouillonnant de questions.
Wellan se pince l'arête du nez, fermant les yeux quelques instants.
— Je sais, Annita, je sais.
Sa voix est un mélange de colère et de lassitude. Toute la fatigue accumulée au cours des dernières semaines semble l'accabler en ce moment même.
— Crois-moi, j'y réfléchis depuis tout à l'heure, mais si les autorités militaires décident de respecter à la lettre les ordres donnés par le roi, je ne peux rien faire. Peu importe combien de fois je leur hurlerai dessus, ils ne changeront pas d'avis. Parce que mon père a construit son règne sur la loyauté de ses inférieurs et laisse-moi te dire qu'il l'a fait d'une façon efficace. Plus personne n'ose le défier depuis longtemps.
J'ignore pourquoi, mais ces simples mots suffisent à me faire frissonner. J'ai l'impression que le roi a posé des gestes horribles pour s'assurer de la loyauté de ces sujets.
— Même si tu es le prince héritier ? demandé-je tout de même, tentant par tous les moyens possibles de trouver un peu d'espoir dans toute cette noirceur.
Il hoche la tête avec une tristesse palpable.
— Tu sais à quel point je n'ai jamais voulu des responsabilités qu'impliquent le rôle de roi, mais je serais prêt à prendre ma place sur le trône sur-le-champ si ça pouvait empêcher de telles horreurs de se reproduire.
— Ils vont changer d'idée, il le faut, répété-je en boucle. Ce n'est pas humain, ce n'est pas...
Wellan reste toujours éloigné de moi, comme si l'idée que je puisse être près de lui ne lui était pas tolérable en ce moment. Et je le comprends. Je comprends cette envie de penser aux innocents, aux plus vulnérables, avant nous. Parce que peu importe ce que je peux me dire, malgré la menace que représentent les Tueurs de l'Ombre, je sais bien que les civils des deux côtés de la frontière sont plus en danger que moi.
— J'aimerais tellement avoir la même foi que toi en leur humanité, Annita, mais je connais mieux mon père que personne, continue Wellan, les mains dans les poches, adossé au mur délavé par les années, et il ne va jamais reculer. Depuis des siècles, chaque gouvernement se voit comme inhumain, s'attaque, et ça ne s'arrêtera jamais. Jamais.
Je repense à l'histoire que ma mère m'a raconté plus jeune, concernant Astha et Mélène, les amantes maudites. Leurs peuples ont passé tellement d'années à se combattre et à se décimer qu'ils en ont oublié la raison originale du conflit, ont éradiqué leur propre humanité... Est-ce ce qu'il se produit en ce moment ? Y a-t-il seulement un moyen d'arrêter cette situation ou tous nos efforts seront toujours vains ?
— La bonne nouvelle, c'est qu'ils n'attaqueront pas avant que Mélène ne franchisse les frontières, donc nous aons encore du temps devant nous, tente de me rassurer Wellan. En espérant que ça ne sera pas gaspillé.
Et sur ce, on se quitte sans se dire le moindre mot, tous les deux effrayés par les événements à venir.
Je ne suis pas allée manger avec les autres. Je ne peux décemment pas me tenir en compagnie de gens qui ont prévu de provoquer un tel massacre dans les semaines à venir. C'est au-dessus de mes forces. Et je n'ai pas faim. Je reste donc couchée sur notre lit, le doigt levé, jouant avec les ténèbres qui se trouvent aux coins de la pièce. Pourtant, cette fois, je ne tire aucun plaisir à jouer avec elles. Je ne fais que penser aux corps qui s'accumuleront en piles, aux nouveaux endeuillés, à toute cette tristesse qui se répandra bientôt dans les rues.
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La Tueuse de Princes
FantasyAnnita est une tueuse de l'Ombre, un ordre d'assassins aussi sombre qu'ancien. Lorsqu'on lui demande d'éliminer le prince du royaume de Polaris, adoré par son peuple, elle déménage au palais et se fait passer pour une domestique. Mais la jeune femme...