Mon père est beaucoup plus intimidant en face à face dans son bureau que dans la salle du trône, malgré toute l'opulence dans l'endroit. Même lorsqu'il est habillé assez simplement, sa seule prestance me fait frissonner et me remettre en question. Lorsqu'il est assis sur son trône, il y a une grande distance entre lui et moi, alors qu'ici, dans cet espace plus restreint, il se trouve à quelques centimètres de moi. Et je ne peux pas lui échapper.
En tant que prince et fils du roi, je n'ai pas eu le choix de me rendre à son bureau quand il m'a fait demander. Je ne me fais pas d'illusion : il ne m'a pas réclamé pour parler des affaires du royaume. Je sais parfaitement de quoi il veut discuter avec moi.
Somme toute, son bureau est simple, comparé à la salle du trône ou même à ses appartements personnels. Il s'agit d'une pièce aux murs recouverts de papier peint, sans tableau, sans œuvre d'art, presque sans vie. Un bureau en bois massif prend une grande partie de l'espace, et mon père ne s'est pas assis dans la confortable chaise qui sert d'appui pour son vieux dos fatigué. Non, il fait les cent pas devant moi, qui suis bien assis, et se pince l'arête du nez, visiblement découragé.
Je ne dis rien, ne lâche aucun commentaire, au cas où il ne souhaite pas aborder mon altercation avec ma mère, même s'il y ait peu de chances que ce ne soit pas le sujet de notre rencontre.
En quelques jours – heures, même –, des tas de rumeurs ont circulé dans le palais, toutes plus ridicules les unes que les autres. Je n'y ai prêté aucune attention, comme d'habitude. J'ai plutôt ressassé ma discussion avec Annita, qui me perturbe encore aujourd'hui. Depuis notre rencontre, j'ai envoyé des domestiques m'occuper d'elle – parce qu'elle ne peut pas encore quitter ses appartements sans qu'on ait établi un plan –, mais pour l'instant, je ne me sens pas capable de l'affronter. Parce que je suis un homme faible. Parce que j'ai l'impression que je céderais en la voyant, cette magnifique créature.
— Wellan.
Je relève la tête vers mon père, qui a finalement pris la parole. Il a arrêté de tourner comme une bête en cage, mais ne s'est pas assis pour autant. Il me regarde droit dans les yeux, et je vois ses iris verts me fixer pour essayer de me décrypter. Je sais très bien qu'il s'interroge toujours sur cause de la haine de mes frères et moi envers notre mère, même si nous la lui avons expliquée des centaines de fois. Il ne comprend pas. L'amour le rend véritablement aveugle. Les indices, très nombreux, ne semblent pas s'accumuler dans sa tête, il les oublie en un claquement de doigts. Et nous ne pouvons pas accuser notre mère d'un acte grave sans en avoir la preuve. Elle reste la reine avant tout.
Et notre père n'a malheureusement aucune logique lorsque cela la concerne.
Ça me rappelle quelqu'un...
— Je comprends que tu aies des relations difficiles avec ta mère, Wellan, mais la scène dont tu as donnée cette semaine frôlait l'indécence. Tu devrais avoir honte.
Face à ma mère, je n'aurais jamais honte de mes agissements. Elle mérite pire que quelques paroles froides lancées devant des nobles.
En revanche, ça, je ne peux pas le révéler à mon père. Je ne sais pas comment réagir devant sa confrontation. Dois-je paraitre un peu détaché ? Totalement ? Mon cerveau oublie comment se comporter normalement lorsque le sujet revient sur le tapis. J'aimerais la bloquer de mon esprit, mais tous les jours, on me parle d'elle, tous les jours je dois revoir son visage et tout ce qu'elle m'a causé.
Un jour, je péterais les plombs.
— J'ai entendu les rumeurs. Il y a eu beaucoup d'exagérations, répliqué-je, optant pour le détachement.
Le regard que le roi me lance est un concentré de sévérité.
— J'ai parlé avec Hector, Wellan.
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La Tueuse de Princes
FantasyAnnita est une tueuse de l'Ombre, un ordre d'assassins aussi sombre qu'ancien. Lorsqu'on lui demande d'éliminer le prince du royaume de Polaris, adoré par son peuple, elle déménage au palais et se fait passer pour une domestique. Mais la jeune femme...