Mes frères m'ont manqué. C'est la première fois que je suis resté aussi longtemps d'eux et nos discussions quotidiennes m'ont manqué. Avec elles, j'aurais peut-être agi de façon plus sage.
Mais heureusement, ils sont là, avec Annita et moi, dans notre chambre, en attendant qu'on leur en prépare une chacun. Installés sur des chaises au dos rigide, ils s'intéressent à Annita, lui posent des questions et lui demandent de leur raconter notre rencontre, même si je leur ai déjà fait le récit. Pendant un long moment, je reste silencieux, me contentant de les regarder agir comme une vraie famille. Non, pas comme, ils sont ma famille.
Tout comme moi, Zacharie et Sébastian n'ont jamais quitté l'enceinte de la capitale, confinés par un père surprotecteur, pourtant lorsqu'ils ont entendu le plan du roi, celui d'abattre quiconque ose franchir la frontière, sans distinction, civil ou soldat, ils ont tout de suite compris que je ne serais pas d'accord et que j'aurais besoin d'aide. Alors, faisant fi des règles, ils ont décidé de galoper jusqu'à la frontière, avec un soldat pour guide. Ils n'ont pas pensé aux conséquences une seule seconde, ils ont plutôt pensé aux vies en jeu.
Ça me donne confiance en l'avenir. Il reste encore des gens bons, qui considèrent la vie humaine, peu importe de quel côté de la frontière elle se trouve.
— Wellan.
Je sors de mes pensées et me concentre sur Zacharie, qui m'a interpellé.
— Ça va ? Tu ne sembles pas dans ton assiette, mon frère ?
Qui le serait dans une telle situation ? Même si j'essaie parfois d'oublier, je ne dois pas oublier le massacre qui s'est déroulé à quelques lieues d'ici, les civils de l'autre côté de la frontière et tout ce qu'on ne sait pas encore. Parfois, quand je prends quelques instants pour y penser, mon cœur se serre, ma respiration se coupe et l'angoisse m'étreint. Je pourrais faire tellement plus.
— Je vous avoue que la situation actuelle m'inquiète particulièrement, leur avoué-je, vulnérable, et que j'ai peur de ce qu'il pourrait arriver.
Sébastian, celui parmi nous qui est toujours rationnel et sage, s'empresse de me rassurer, même si je ressens chez lui aussi une pointe d'inquiétude. Il ne parvient pas à la cacher, ce qui prouve que je ne suis pas le seul à me préoccuper de l'état des choses.
— Et votre disparition du palais ne va pas nous aider à redorer notre image aux yeux du roi, ajouté-je, même si en ce moment je me moque royalement de ce qu'il peut penser de nous.
— Notre fuite, en quelque sorte, ne va pas plaire à notre père, c'est certain, mais je ne pense pas qu'il va précipiter une attaque sur Mélène pour nous punir, Wellan. Dans sa logique tordue, il faut que e soit eux qui franchissent la frontière pour que le conflit démarre de nouveaux, pour qu'ils deviennent les envahisseurs.
— Et combien de temps avons-nous avant qu'ils ne le fassent ? répliqué-je avec inquiétude.
Annita, à mes côtés, prend une grande inspiration alors que toutes les têtes se tournent vers elle.
— On ne sait pas ce qui se trouve de l'autre côté de la frontière, intervient-elle calmement. En fait, on ne sait pas grand-chose point. Mais à mon avis, si leur seul choix de ces gens revient à franchir une ligne terrestre terriblement dangereuse pour eux alors que nos deux conflits sont en conflit depuis des siècles et qu'ils ont probablement été conditionnés à nous détester depuis leur plus jeune âge, c'est que quelque chose de grave se passe à Mélène.
— Et si on y allait, nous ?
Tous les regards fixent sur Zacharie, qui comme toujours est affalé sur la chaise comme si son dos allait le supporter. Lui, il va finir avec la colonne vertébrale déformée, j'en suis certain. Pourtant, ce n'est pas le plus surprenant venant de lui, ce sont les paroles qu'il a prononcées avec son flegme légendaire, comme s'il n'était pas question de vie ou de mort.
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La Tueuse de Princes
FantasíaAnnita est une tueuse de l'Ombre, un ordre d'assassins aussi sombre qu'ancien. Lorsqu'on lui demande d'éliminer le prince du royaume de Polaris, adoré par son peuple, elle déménage au palais et se fait passer pour une domestique. Mais la jeune femme...