La Tueuse de Princes

18. Wellan

Je mentirais si je disais que ça ne m'excite pas.

L'objectif de passer un marché avec elle est tout simplement d'avoir le contrôle sur elle. Même si je me doute qu'elle ne dit pas toute la vérité, elle n'est pas douée de mauvaises intentions. Sinon elle se serait servie plus vite de ses armes et, surtout, je ne serais pas vivant. Elle n'aurait pas tué des ennemis dont la mission était de m'assassiner dans le silence.

En revanche, l'idée de faire d'elle une courtisane n'est peut-être pas la plus brillante. Pourtant, je ne peux plus supporter de l'apercevoir dans sa tunique élimée de domestique, de la savoir au service d'une Lady méprisante me dégoûte. C'est Annita qui doit avoir le droit à ses privilèges, avec sa beauté qui dépasse l'entendement et son caractère hors de l'ordinaire.

Par contre, je ne sais pas d'où elle vient : je n'ai pas trouvé son nom dans les registres malgré toutes les recherches que j'ai fait, même dans les ouvrages confidentiels. Ça ne sera que plus facile pour moi de lui forger une nouvelle identité et de l'élever au rang de Lady. Cependant, en ce qui concerne ma propre enquête, j'imagine que je vais devoir chercher plus profondément pour savoir qui elle est. Il y a quelque chose chez elle qui m'indique qu'elle ne vient pas d'un milieu pauvre, qu'elle a un secret à découvrir.

Et maintenant, je peux me consacrer à temps plein à cette enquête, d'autant plus que je pourrai passer davantage de temps avec Annita sans qu'on se pose de questions sur notre relation.

Ennuyé, je retourne au présent. J'aimerais mieux continuer à penser à Annita et au secret qu'elle représente que de me trouver ici, avec tous ces vieillards qui parlent et n'agissent pas lorsque le danger survient. Distraitement, je joue avec un couteau pendant ce Conseil. Même si en théorie, en tant que prince presque héritier, je ne devrais pas en manquer un seul, celui-là je ne peux vraiment pas y être absent puisqu'on traite de la tentative d'assassinat à mon égard. Et même si je suis peu sérieux ces temps-ci, je suis tout de même concerné par les derniers événements.

Peut-être aussi qu'il faudrait que je m'intéresse davantage à la politique de ce pays.

Le lieu de réunion du Conseil se trouve près des appartements du roi. Pour y accéder il faut passer par un tunnel secret, dont l'emplacement est connu seulement de quelques personnes de confiance, les Conseillers. La pièce n'est pas énorme vu qu'elle date de plusieurs générations déjà, mais elle suffit à accueillir une longue table où sont installés plusieurs hommes grisonnants à la barbe plus fournie que leur intelligence. Tous des vieillards. Aucune femme ou homme de mon âge, pour offrir des points de vue et perspectives différents.

Si un jour je devenais souverain, mon premier geste serait de nommer de nouveaux Conseillers, de tous les horizons, pour m'aider à prendre les meilleures décisions possibles. Parce que, pour l'instant, les conseils et les opinions se ressemblent et ne nous permettent pas de sortir de l'impasse. Depuis que je suis assis sur ce fauteuil confortable, il n'y a pas eu de débat, d'arguments ou même d'action.

En me présentant ici, je m'attendais à ce qu'on traite des sujets importants dès les premières minutes, mais il semblerait que pour ces nobles, cachés dans le palais alors que l'attaque de Mélène nous tombait dessus, il est plus important de parler d'un éventuel blasphème provenant d'un homme du peuple déchiré par la perte de sa femme. Rien qui ne menace le royaume. Pourtant, les Conseillers en parlent depuis presque une heure, comme s'il s'agissait d'une affaire de la plus haute importance.

Énervé, j'ai donc sorti un petit couteau, que j'ai dérobé à Annita ce matin, et joue négligemment avec. Oui, ce n'est pas un comportement très princier et oui je m'en fous.

— Wellan.

Une voix grave, posée. Aucun reproche, juste un mot prononcé.

Je lève les yeux vers mon père, assis à l'autre extrémité de la table, dans un semblant de trône. Ses cheveux noirs, grisonnants sur les pointes, reposent sur ses épaules, celles-là mêmes qui supportent tout un pays.