Ses yeux. Ses magnifiques yeux bleus.
C'est tout ce à quoi j'arrive à penser alors que Lady Camélia jacasse. Mes oreilles entendent ce qu'elle me dit, mais mon cerveau refuse de l'écouter, obnubilé par le regard perçant de cette domestique, qu'on a chassée comme une moins que rien. Pourtant, elle me semble bien plus intéressante que la femme devant moi.
Lady Camélia me parle comme si elle faisait partie de la cour depuis des années, alors qu'en réalité, elle est arrivée au palais hier. Mon père lui a fait l'honneur de l'intégrer aux courtisanes pour que sa famille lui soit redevable, rien de plus. Il n'a aucune intention de me marier à une telle femme, et je n'ai pas prévu de passer davantage de minutes avec elle. L'accueil de chaque courtisane par le prince héritier est une formalité à laquelle je dois me plier. Je préférerais de loin rattraper cette domestique, Annita, et continuer notre discussion. Mais elle a déjà disparu, me laissant seul avec une femme à laquelle je n'ai aucune envie de parler.
— ... et Lord Black a osé m'envoyer son maigrichon de fils cadet pour me faire la cour ! Vous imaginez, Votre Majesté ? Qu'est-ce que je ferais avec un mari incapable de me protéger ?
J'acquiesce de la tête, faisant semblant que je l'écoute. Mais mes yeux ne sont pas posés sur elle, ils ne cessent de fixer le bout du couloir, celui-là même où la jolie domestique a disparu. J'aimerais qu'elle revienne, ce qui n'arrivera probablement pas, vu comment Lady Camélia l'a congédiée.
Cette dernière continue de parler avec sa petite voix agaçante, sans même se préoccuper de savoir si je l'écoute ou pas. À ce point, je doute qu'elle le remarque, elle qui semble persuadée qu'elle est meilleure que les autres courtisanes... Pourtant, elles parcourent les couloirs du palais depuis bien plus longtemps qu'elle et sont habituées aux manières de la cour.
Je devrais l'écouter, lui donner un peu plus d'attention, jusqu'à ce que la discussion prenne fin d'elle-même, mais rapidement, ma curiosité grandissante et mon agacement me poussent à lâcher un :
— Veuillez m'excuser, Lady Camélia, mais le devoir m'appelle ailleurs. Je suis heureux de vous avoir rencontrée. En espérant vous revoir bientôt...
Après un baisemain que j'espère sincère, je m'éloigne. Bien sûr que je ne lui ai menti, et elle ne l'a pas remarqué. Il y a beaucoup trop de courtisanes au château pour que je renvoie régulièrement chacune d'entre elles. Et celle-là, je ne désire pas la revoir.
C'est à peine si elle me répond alors que je m'éloigne, avec un soupir de découragement. Une formalité de faite, le reste de la journée se déroulera de façon plus agréable. J'ai prévu un petit entrainement avec mes chers frères, qui doivent m'attendre sur le terrain, et il me tarde de les battre à plate couture.
Tandis que je parcours les couloirs, je touche mon épée par réflexe, celle que je traine partout, même lors des rencontres privées. En ce moment, je devrais d'ailleurs me trouver aux côtés de mon père pour sa réunion d'aujourd'hui avec ses conseillers, mais je préfère de loin retrouver mes frères pour leur faire mordre la poussière une fois de plus.
En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, me voilà aux abords du terrain d'entrainement situé à l'extérieur, sous le soleil plombant et les encouragements du public. Depuis que mon père a compris que je maitrise l'épée comme personne, il permet au peuple d'assister aux entrainements publics, que ce soient les miens ou ceux des chevaliers, et ils sont toujours là, des dizaines, des centaines, à attendre toute la journée, espérant que j'apparaisse comme par magie et leur offre un spectacle dont ils se souviendront longtemps. Ils ne savent jamais lorsque je me présenterai, et ça ne fait que rendre l'expérience encore plus magique. Parce qu'ils sont prêts à attendre des heures, des jours, pour avoir la chance de m'observent manier l'épée comme ils n'ont jamais vu personne le faire.
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La Tueuse de Princes
FantasyAnnita est une tueuse de l'Ombre, un ordre d'assassins aussi sombre qu'ancien. Lorsqu'on lui demande d'éliminer le prince du royaume de Polaris, adoré par son peuple, elle déménage au palais et se fait passer pour une domestique. Mais la jeune femme...