31 - Annita

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Je n'ai pas assisté à la réaction de Wellan lorsqu'il a vu de ses yeux le massacre, mais j'ai aperçu les quatre chevaux du groupe partir au galop, comme si le diable lui-même était à leurs trousses. Comme si le mal avait élu son domicile là-bas. C'est là que j'ai compris que la situation était vraiment grave.

Et j'ai compris moi aussi lorsque je me suis présentée sur les lieux, le cœur battant et en apnée. Mes yeux se sont posés sur les piles de corps, les cadavres empilés sans dignité, et malgré toutes les scènes à laquelle j'ai assistées par le passé, je n'ai pas réussi à garder contenance. J'ai vomi. Et je n'ai pas bougé depuis.

À quelques mètres de l'endroit où l'enfer s'est déchainé se trouvent d'autres éclaboussures du même type, seules traces du passage de Wellan.

Il y avait des corps absolument partout, partout, partout...

Je n'ai même pas la force de les rattraper, ces témoins qui ont fui. Je vais peut-être perdre leur trace en restant ici plus que nécessaire, mais en ce moment, je n'ai pas la force de me redresser et d'affronter la vie alors que tant de gens ont perdu la vie là et qu'ils n'auront probablement pas de sépulture.

Sans y penser davantage, je me redresse d'un bond, sans un regard en arrière, retourne au cheval, l'enfourche sans grâce. Puis, le cœur pris dans un étau, sans même penser à me cacher dans les ombres, je pousse la bête à galoper aussi vite que possible. La tête en vrac, mes yeux peinent à assimiler l'information. Qu'est-ce que je fais ?

Puis, après un temps que je ne parviens pas à définir, je me laisse tomber sur le sol, je m'effondre telle une poupée de chiffon. J'ai mis assez de distance entre moi et la scène. Je ne veux pas la revoir.

Les larmes aux yeux, je me refuse à les laisser couler. Je ne peux pas être aussi faible, vulnérable, alors que je suis encore vivante, et pas eux. Je dois rester forte. Pour eux.

En ce moment, peu m'importe que je ne sois qu'une domestique pour certains, une noble pour d'autres, en soi une femme sans importance, je ne peux pas rester impuissante. Je n'ai peut-être aucun impact, aucun moyen de m'infiltrer dans la situation, mais je dois faire quelque chose. Comment peut-on rester insensible face à une telle atrocité ?

Est-ce que je dois me pointer à l'endroit où se rend Wellan et lui révéler que je l'ai suivi et que je veux m'impliquer dans la cause ? Ça pourrait compromettre ce qu'il y a déjà eu entre nous... non, non, il n'y a plus rien. Je dois désormais lui parler comme tout le monde le fait avec un prince héritier. Parce que lui qui se préoccupe de son peuple, il fera tout pour qu'une telle tragédie ne se reproduise pas, j'en suis certaine.

Et je veux être de la partie.

J'ai baigné dans la mort depuis mes plus jeunes instants. Parfois, je me dis que je suis le produit de la mort, la preuve étant que la noirceur m'obéit, que je peux la contrôler. Les enfants évoluent normalement, alors que moi j'ai été élevée dans l'art d'éliminer d'autres humains pour continuer à vivre.

On m'a toujours enseigné que c'était la chose à faire. Mais l'est-ce vraiment ? Est-ce que tuer sans raison l'est ? Et qu'est-ce qui me dit que toutes ces personnes que j'ai tuées méritaient vraiment la mort ? J'ai vu les comportements de certains d'entre eux, et je serai capable de les éliminer une seconde fois pare qu'ils le méritent, mais d'autres...

Je ne peux pas tuer Wellan. Pas seulement parce qu'il me semble innocent et n'a probablement rien fait de mal, mais aussi parce qu'il est peut-être l'élément qui va changer la donne dans le confit, qu'il va lui permettre d'évoluer, de changer de tactique.

J'ai espoir en Wellan et en ses capacités. Je n'ai pas le choix.

Ce n'est pas le roi actuel qui sera le héros de la situation, mais Wellan, celui qui pense à son peuple avant tout, ne pourra pas rester sans agir devant de telles atrocités.

La Tueuse de PrincesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant