Présentation

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***Quarante ans plus tôt***

Il se disait dans le village que la famille ODOUMA était maudite. Disparussions, suicides et morts suspectes étaient devenus monnaie courante dans cette famille autrefois très puissante, respectée et crainte de toute la région. Aujourd'hui personne ne voulait plus s'associer à eux. Personne ne voulait les saluer lorsqu'on les croisait en route.

Pauline ODOUMA était une femme ordinaire, une belle femme joviale et plaine de vie. Pour elle, plusieurs étaient prêts à prendre le risque de se lier à cette famille tristement célèbre. Les hommes la désiraient, les femmes la jalousaient. Elle avait cette assurance, cette prestance naturelle, qui poussait à l'admiration. Puis un jour, elle se mit à délirer, à dire des choses incompréhensibles : elle avait perdu la boule. Les mauvaises langues disaient qu'elle était châtiée par les ancêtres pour avoir fait usage des pratiques pas catholiques pour être célèbre au près des hommes.

Les parents de Pauline ne pouvaient pas la surveiller à tout instant, alors il arrivait qu'elle s'échappe. La première fois qu'elle est tombée enceinte, ses parents ne le surent que bien trop tard. Pauline donna naissance à une magnifique petite fille appelée Eloumba. Le géniteur, ce criminel qui avait abusé d'une femme mentalement instable ne se dénonça jamais.

Des années plus tard, Pauline avait donné naissance à trois bébés. Les deux derniers avaient été placés dans des orphelinats et Pauline dû être attachée, assignée à résidence pour ne plus que les hommes puissent profiter de sa fragilité.

Lorsqu'Eloumba eu douze ans, ses deux grands-parents sont décédés dans des « circonstances douteuses » selon les villageois. Son oncle, parti en ville pour trouver du travail ne répondit pas favorablement aux appels de détresse de la jeune fille. Elle se retrouva responsable de sa mère, mentalement instable et devenue agressive avec le temps seule. A douze ans.

Eloumba reprit le commerce de sa grand-mère, elle cultivait et transformait du manioc qu'elle devait aller vendre en ville car personne dans le village n'accepterait de lui en acheter. Autant de responsabilités pour une gamine de douze ans qui ne pouvait compter sur personne.

Lorsqu'Eloumba eut quinze ans, l'état de sa mère devint invivable. Un soir, elle se vit contrainte de la transporter dans une brouette jusqu'à l'hôpital régional à neuf kilomètres de leur maison. Personne ne lui vint en aide, tous s'écartaient sur son chemin et tournaient la tête. C'est dans cet hôpital, ce soir-là, qu'elle rencontra l'étudiant en médecine François MAPASSI. C'était un militaire en mission dans la province pour une compagne sanitaire. L'homme de treize ans son ainé eut le coup de foudre. Il entreprit d'engager des démarches pour que mère et fille soient évacuées sur la capitale pour une meilleure prise en charge.

Eloumba et Pauline vivaient avec François dans un petit studio de la capitale jusqu'à ce que Pauline soit internée dans un hôpital psychiatrique. Eloumba ne parlait pas correctement le français, elle savait à peine lire, écrire et compter. Il lui était impossible de travailler dans cette ville, impossible de cultiver du manioc. François se montrait généreux en ne demandant aucune participation financière, bien au contraire, c'est lui qui donnait de sa poche.

Ils vivaient comme un couple. Lorsqu'il rentrait du travail le soir, il y avait à manger sur la table, la maison était propre et ses vêtements rangés. Pourtant, il attendu deux ans pour être intime avec elle. Pour Eloumba, ce n'était que la suite logique des choses. Bien ? Mal ? Elle n'était pas en position de le juger.

François devenu chirurgien. Il voulait officialiser sa relation avec sa bien-aimée. C'est à ce moment que la famille du brillant médecin découvrit que leur fils fréquentait une illettrée sortie tout droit d'un village perdu du Gabon. Ils menèrent des enquêtes et face aux accusations des villageois contre la famille d'Eloumba, il leur était impensable de laisser leur fils épouser une fille pareille. Il était un brillant chirurgien plein d'avenir et elle portait la malédiction.

Le médecin n'écouta pas ses parents et malgré leur désaccord, épousa Eloumba avant de s'éloigner de sa famille qu'il jugeait nuisible et intrusive. Lorsqu'Eloumba alla annoncer la nouvelle à sa mère, elle trouva sa mère lucide pour la première fois en vingt ans sur terre. La mère était ravie de la nouvelle, la félicita avant de lui demander si son père le savait.

« Mon père ? Maman je n'ai jamais su qui était mon père. »

Pauline fronça les sourcils et la fixa plusieurs secondes.

__ Maman qui est mon père ?

Elle s'approcha, pris ses mains dans les siennes et lui murmura une phrase à l'oreille. C'était là, la dernière conversation qu'elle eu avec sa mère qui décéda trois jours plus tard. Suite à cet épisode, Eloumba ne fut plus jamais la même. Elle avait tout simplement arrêté de parler. A qui que ce soit.

Deux ans seulement après leur mariage, alors qu'elle attendait son premier enfant, Eloumba et François furent victime d'un grand accident de voiture. Eloumba perdit son bébé et François l'usage de ses jambes... ainsi que ce qui fait d'un homme un homme dans plusieurs pays d'Afrique.

Evidemment Eloumba fut tenu pour responsable. Elle était maudite, tout le monde le savait. C'était une sorcière, pourquoi avait-elle arrêté de parler du jour au lendemain ? Comment quelqu'un pouvait devenir muette sans raison, sans crier gare. Elle fut frappée et humiliée en public, sa nudité exposée au grand jour.

Malgré cet épisode, le couple ne se sépara pas. Il n'y avait plus espoir que François retrouve l'usage de ses jambes mais il lui fallait des séances de rééducation. La famille MAPASSI était claire, s'il s'entêtait avec cette fille qui finirait par le tuer, François ne recevra aucune aide de la famille. Eloumba ouvrit alors un restaurant à la maison malgré son handicap, il n'était pas question de laisser cet homme dans la merde alors qu'il lui avait tendu la main vingt-deux ans en arrière lorsque tout le monde lui avait tourné le dos.

Voyant les efforts de leur belle-fille, les MAPASSI prirent le relais. François ne pouvait plus être le grand chirurgien qu'il aspirait tant à devenir, mais il pouvait exercer en tant que cardiologue. La vie semblait retrouver son cours. Puis un jour, lors d'une cérémonie de famille, un proche fit une allusion sur le fait que le couple n'avait plus jamais eu d'enfant en insinuant que François ne pouvait simplement plus devenir père. François n'acceptait pas son impuissance, en Afrique en général, un homme est un homme seulement s'il peut se reproduire. Alors il faisait croire à tout le monde qu'il « fonctionnait ». C'était un sujet sensible pour lui, personne ne le voyait mais il vivait mal de ne plus « être un homme » et de ne pas pouvoir assurer de descendance à sa lignée.

Eloumba ne dit rien. Quelques mois plus tard elle revint à la maison enceinte, preuve que son mari était toujours « un homme ». François non plus ne posa aucune question, il savait que sa femme n'était pas frivole et compris son geste. Son honneur était lavé, les mauvaises langues n'auront plus matière à se moquer de lui. Le couple accueillit leur premier et unique enfant, Athéna.

Destin ou Choix : Secrets de famille Où les histoires vivent. Découvrez maintenant